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Au sud-ouest dans les Lowlands, l’Ayshire et le Dumfries and Galloway chantent la légende du poète le plus célèbre d’Écosse. Son ombre, sa lumière et son souvenir vous guideront à travers l’une des régions les plus secrètes et les moins fréquentées du pays. Vous allez adorer vous y perdre.

On ne peut comprendre à quel point une simple cornemuse suffit à faire hurler les filles de plaisir si l’on n’a jamais vécu une Burns Night à Dumfries. Nous sommes en plein hiver, dans le sud-ouest de l’Écosse, mais les gelées de janvier ne pénètrent pas le chapiteau chauffé par une ambiance survoltée. Torse poil, brioche s’échappant du pantalon en cuir moule-poutre, gestuelle suggestive limite classée X, Cameron Barnes a mis la foule à genoux en soufflant dans le chalumeau comme si sa vie en dépendait, passant d’une balade celtique au rock le plus hardcore. Et la moitié féminine de l’assemblée joue le jeu, criant et sifflant avec jubilation – à croire qu’Elvis vient de ressusciter. Elvis avec une cornemuse. La troupe de cabaret Le Haggis (en français, histoire de pimper la panse de brebis farcie, plat national écossais) est de retour à Dumfries pour le Big Burns Supper (lire l’encadré) qui célèbre la naissance de Robert Burns (1759-1796), le barde du pays, le poète du Ayshire, le fils préféré de la nation celte. Et entre deux numéros burlesques sur un fil conducteur LGBT (don’t ask), les bagpipes soulèvent le barnum prêt à s’envoler.

Le 25 janvier, toute l’Écosse se met à table pour la Burns Night et le “souper de Burns”. On se réunit entre amis, le whisky coule à flots, le haggis est à l’honneur, et on le découpe après le fameux Hymne au haggis composé par l’écrivain. Mais à Dumfries, où est mort et inhumé le poète, la nuit s’étire sur dix jours, et l’on vient désormais du monde entier fleurir la sépulture et lever son verre. Si les Écossais n’ont aucunement besoin de prétexte pour vider leur godet, il faut en revanche les pousser un peu pour qu’ils s’aventurent dans le sud-ouest des Lowlands. Le tourisme dans l’Ayrshire et le Dumfries and Galloway est pour ainsi dire inexistant. Trop proche de l’Angleterre – la région ressemble beaucoup au Lake District, de l’autre côté de la frontière. Moins spectaculaire que les Highlands. Le visiteur étranger pourra donc goûter à l’Écosse à l’écart des hordes armées d’appareils photo, y compris en été.

Dettes et bâtards

Depuis Glasgow, il suffit de piquer en rectiligne au sud-ouest sur un peu moins de 60 kilomètres pour atteindre Alloway, bourg natal de Robert Burns aujourd’hui rattaché à Ayr. Un passionnant musée consacré à l’écrivain, sa vie, son œuvre, s’y est installé. Rien n’y est tu de sa vie mouvementée, de ses engagements libéraux et humanistes, de sa sympathie franc-maçonne, de ses amours illégitimes, de ses humeurs dépressives… ni du goût immodéré pour le whisky qui rythmait sa poétique. À quelques pas, son cottage natal se visite, et il suffit de traverser la rue pour se pencher sur la sépulture de son père, William, à l’ombre moussue de l’Auld Kirk of Alloway. En Écosse, les cimetières sont vivants, les pierres tombales chamboulées, plantées à la verticale dans la terre humide, en témoignent de guingois.

Le bocage de l’Ayshire déroule son vert gazon de pâturages cloué de petites villes minières à l’abandon. La région ne s’est jamais vraiment remise de la fermeture des puits de charbon sous l’ère Thatcher, et enregistre l’un des taux de chômage les plus élevés du Royaume uni. C’est d’ailleurs par les soucis d’argent que Robert Burns accepte un emploi de collecteur des taxes auprès des distilleries de whisky – imagine-t-on en France ripailler une fois l’an en l’honneur d’un agent du fisc ? Les dettes et les enfants illégitimes qu’il sème au gré des amours ancillaires le poussent à s’exiler à quelques dizaines de kilomètres, à Dumfries, où il mourra de maladie, à 37 ans.

Man o’ Words

Le Dumfries and Galloway est une terre pastorale où paissent les “belties”, les belted cows, ces vaches noires ceinturées d’une large bande blanche (“vaches Oréo”, disent les Américains), pleutres ruminants qui fuient devant l’objectif. Sur ces vastes étendues qui se cognent aux collines, les guerres avec l’Anglais tout proche ont laissé un champ de ruines. Le château de Caerlaverock (prononcer “Colavrik”), forteresse du XIIe construite en plan triangulaire flottant sur un étang, est sans doute le plus bel exemple du romantisme sauvage qu’inspirent les murailles effondrées et les toits ouverts aux vents et aux alouettes. À moins qu’on ne lui préfère Sweetheart Abbey, carcasse de pierre rougeoyante, symbole de la dévotion d’une femme, Lady Dervorgilla, à feu son époux dont elle fit embaumer le cœur pour qu’il ne la quittât jamais.

À Annan, les ruines ont été relevées. Et de la plus belle manière, pour ressusciter la distillerie d’Annandale, fermée en 1918 et rouverte en 2014. Créature de pierre rouge, de chêne blond, de cuivre chaud, elle se dresse, appuyée sur une haute cheminée d’époque, au milieu d’un grand nulle part. Les deux premiers single malts, Man o’Words (en hommage à Robert Burns) et Man o’Sword (un tourbé, dédié à Robert the Bruce, l’autre enfant du pays), sont attendus en avril-mai. Si les chais commencent à peine à se remplir, la distillerie et son restaurant attirent déjà par grappes les visiteurs curieux. En direction opposée depuis Dumfries, une autre distillerie silencieuse – car les églises du malt ne meurent jamais, elles cessent simplement de parler -, rouvrira bientôt ses portes : Bladnoch. La beauté sereine du sud-ouest écossais ne restera sans doute plus longtemps un secret.

Par Christine Lambert

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