Skip to main content

Derrière les simples mots, “sherry cask” ou “sherry oak”, terriblement à la mode sur les bouteilles de whisky, se cachent une multitude de cas de figure et une absence totale de réglementation – donc d’abus.

 

As-tu remarqué que les whiskies vieillis en fûts de xérès ont plus que jamais la côte, alors même que ce vin espagnol a déserté nos bars et nos placards ? Certes, un petit revival récent, porté notamment par la mixologie, a enrayé sa dégringolade sans parachute, mais ne t’en déplaise ce sont les vieilles dames anglaises et non les hipsters tatoués qui ont fait le succès de ce vin fortifié à siroter entre le thé et le thé. Or, les old ladies de nos jours ont changé de gnôle, et les exportations de xérès sont passées de 170 millions de litres à la fin des années 1970 à 20 millions tout ronds en 2017. On attend la relève ; il semblerait qu’elle préfère le whisky.

Justement. La déroute du sherry (xérès en anglais, à ne pas confondre avec “cherry” qui signifie cerise – mais tu as parfaitement le droit de lui trouver des notes de griottes) a forcément fini par impacter l’industrie du whisky (mais pas que), friande de fûts imbibés de ce liquide (mais pas que non plus). Car tandis que les ventes de xérès chutaient, la demande de fûts de xérès, elle, augmentait. Les vastes marchés asiatiques commençaient à s’intéresser au whisky, et se montraient très amateurs d’élevages en fûts de sherry. Et voilà que depuis une demi-douzaine d’années, le goût pour les malts plus charpentés opère un retour tonitruant en Occident.

Chose promise, chose bue

Je sais que je t’avais promis ce papier (ici), mais entre-temps Whisky Magazine a mis en ligne un article assez complet de Ian Wisniewski sur la question (). Tu y liras tout sur l’action proprement dite du fût de sherry sur le whisky. Et nous allons en profiter pour nous interroger sur ce que recouvrent les mentions “sherry cask”, “sherry oak”, “sherry finish” ou autre “sherry matured” apposées sur l’étiquette. Réponse : pas grand-chose. Ou plutôt : trop de choses. Un supplément d’information t’est apporté quand le type de bois utilisé pour le fût et le style de xérès qui l’imprègne sont précisés.

L’industrie du scotch a tranché : elle considère désormais que c’est le chêne et non le précédent contenu de fût qui impacte le plus le goût final du whisky : chêne espagnol ou européen vs chêne américain (qui domine très largement dans les chais). La mention “Spanish oak” ou “American oak” t’en dira donc plus sur le single malt que le simple “sherry cask”. Le type de sherry – fino, oloroso, pedro ximenez pour les plus courants – est secondaire, d’autant que quand les xérès sont jeunes leurs caractéristiques ne sont pas toujours très marquées, mais ses interactions avec le bois importent (je te renvoie aux explications de Rachel Barrie sur ce point).

Plus important : si les fino, manzanilla, amontillado et oloroso sont des vins secs (moins de 5g de sucre/litre), pedro ximenez (PX pour frimer) et moscatel en revanche peuvent avoir la main lourde : jamais moins de 212 g/l pour le premier (et souvent plus de 400 g !), jamais moins de 160 g/l pour le second. Les sucres résiduels, je te le rappelle, restent dans les douelles du fût et ne s’évaporent pas – les anges se content de prélever leur part spiritueuse, mais craignent le diabète. Tu les retrouveras donc en partie dans ton single malt (les sucres, pas les cupidons).

 

“Ouin ! C’est plus comme avant !”

Tu verras de temps en temps sur l’étiquette la mention “seasoned cask”. Elle signifie que le fût a été aviné de sherry spécialement en vue d’accueillir par la suite du whisky. Spoiler : c’est le cas de tous les fûts de xérès aujourd’hui, et depuis plusieurs décennies déjà. Le “seasoning” est devenu une part importante du “whiskiing” – et si cette allusion te passe au-dessus de la frange, va lire ici . Cet énorme business de l’avinage a en partie sauvé les bodegas et tonnelleries de Jerez. Les grandes distilleries ont noué des accords pour faire fabriquer leurs fûts dans le sud de l’Espagne selon leurs spécifications – taille des barriques (baril, hogshead, butt…), type de bois, de chauffe, type de xérès et durée d’avinage (18 mois pour Macallan et la plupart des nids à sherry bombs, par exemple, rarement plus de 24 mois, mais il arrive qu’on se contente de beaucoup moins). Une quinzaine de litres sont absorbés dans les douelles (et dégorgeront dans le whisky), et une même quantité traîne au fond du tonneau pendant son transport, pour éviter le dessèchement du bois – tous les producteurs malt ne les essorent pas à l’arrivée… Les plus petites distilleries se fournissent plus souvent auprès des courtiers ou des tonnelleries.

On entend parfois chouiner : “Ouin, c’est plus comme avant, on n’utilise plus de vrais butts de bodegas, on se contente de les aviner vite fait.” Oui, bon, d’abord beaucoup de choses ne sont plus comme avant – à commencer par ma tête au réveil le matin –, et ce n’est pas toujours une mauvaise chose. Ensuite, les producteurs de whisky (ou de rhum d’ailleurs) n’ont presque jamais utilisé de butts de bodega (c’est à dire les “botas” qui forment les soleras) pour faire vieillir leurs spiritueux. Ils récupéraient les barriques de transport, qui servaient à transbahuter le sherry de l’Andalousie au Royaume uni, où les négociants l’embouteillaient. Ces jeunes fûts taillés dans le chêne local étaient utilisés une fois ou deux pour la vinification du jaja de table avant de se recycler en vaisseau de transport, explique Ruben Luyten dans un passionnant post que je t’engage à lire pour creuser le sujet. Autrement dit, même en comptant les escales et les bienfaits du roulis en mer, le xérès ne passait pas des lustres à se frotter aux douelles, sauf quand il était stocké en arrivant à bon port.

En outre, crois-moi, mieux vaut ne pas verser de whisky dans de vrais butts de solera. Car les bodegas de Jerez choisissent les plus vieilles barriques, aux douelles inertes, et quasi exclusivement en chêne américain, pour élever leurs xérès. Afin d’éviter à tout prix d’en extraire les arômes (boisés notamment) et les tannins qui dénatureraient le sherry – précisément ce qui intéresse le whisky. Les butts s’usent d’abord au moins 10 ans dans la vinification des vins de table avant d’intégrer une solera. Dans leur livre “Sherry, Manzanilla and Montilla”, Peter Liem et Jesus Barquin rapportent que nombre de maîtres de chais dédaignent les fûts de moins de 20 ans, et préfèrent les quinquagénaires pour faire vieillir un sherry de qualité. A cet âge aujourd’hui, même en Ecosse, un fût se rapproche de sa dernière réincarnation, qui consiste accueillir les pétunias dans le jardin. Un butt de bodega, en revanche, tiendra sa place dans la solera plus de 100 ans, jusqu’à ce qu’on ne puisse plus réparer les dégâts de l’usure.

Tout ça va tourner au vinaigre (de xérès)

Evidemment, la qualité du xérès et son âge ne comptent pas pour des cerises. Le sherry utilisé pour l’avinage des fûts est souvent bien plus jeune que celui que les vieilles dames anglaises sifflent pour faire passer le goût du Lipton – le même qui imbibait autrefois les fûts de transport avant qu’on ne leur préfère les containers et que la loi espagnole ne décrète l’obligation d’embouteiller sur place. Et il finit parfois en jus de planche à force d’être réinjecté à moult reprises dans moult barriques, avant de se réincarner sur ta laitue, transformé en vinaigre de xérès – ou, autre option, distillé en brandy.

Depuis 2015, le Consejo Regulador de Jerez, l’organisme certificateur des vins de Jerez, tague les fûts avinés dans l’appellation (la denominacion de origen, ou D.O.). Un encodage qui permet de connaître les spécifications du fût, du sherry et la durée du “seasoning”. Mais tu ne retrouveras pas ces indications sur la bouteille de whisky. Le Consejo essaie de faire passer une définition légale du “sherry cask”, qui impliquerait l’utilisation de xérès en D.O. Mais pour l’heure, cette mention recouvre aussi bien des xérès en D.O., des vins fabriqués dans des bodegas de la zone de D.O. sans en respecter les règles, d’autres, encore élaborés selon les règles de la D.O. en dehors de la région de production délimitée… voire ailleurs qu’en Espagne. Cela ne présage en rien de la qualité des fûts avinés, mais “Spanish sweet wine cask” te chatouille moins l’imagination que “sherry oak”, tout comme les images de “seasoning” ne te captivent pas autant que les photos des bodegas cathédrales de Jerez – va comprendre.

Reste le cas des “bodega casks”, dont je t’ai dit qu’ils n’existaient pas dans le whisky. En fait, ces mots font référence à la forme, légèrement plus allongée, des fûts de solera par rapport aux anciens butts de transport du sherry. Ils ne signifient pas que la barrique vient d’une solera, ni d’une bodega. A moins de considérer comme tel le centre où Diageo avine ses fûts, à Alloa en Ecosse, un lieu surnommé… la Bodega. Ça n’existe pas tout en existant sans vraiment exister : toute la magie du whisky.

Par Christine Lambert

Retrouvez Christine sur Twitter

Laisser un commentaire

Inscrivez-vous à notre newsletter