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Torabhaig, Raasay, Tarbert : retenez bien ces noms. Ces trois nouvelles distilleries totalement neuves devraient surprendre les amateurs par la qualité de leur production. Visite guidée sur les pas de Ian Buxton.

 

Bientôt, le voyage dans les îles écossaises à la découverte des distilleries demandera bien plus de temps et de préparations, car trois nouveaux établissements flambant neufs mais déjà incontournables viennent de démarrer leur production. Les ayant tous visités, je puis garantir qu’ils méritent, et de loin, le détour.

Torabhaig

Pour commencer, vous devrez vous rendre à Skye. Attention, l’île étant très fréquentée pendant la haute saison estivale, vous aurez peut-être du mal à trouver à vous y loger. Votre destination, ce ne sera pas l’imposante distillerie Talisker (ne manquez toutefois pas de la visiter, cela va sans dire), mais Torabhaig, nouvelle distillerie plus modeste, bâtie dans la péninsule de Sleat, au sud de l’île.

Elle doit son existence à l’initiative d’un homme d’affaires excentrique, sir Iain Noble. Celui-ci est malheureusement mort avant de voir son projet de ferme traditionnelle porter ses fruits. En fait, je doute qu’il eût jamais été en mesure de le finaliser. Après son décès, le site et les plans d’aménagement ont été revendus à Mossburn Distillers, filiale de Marussia Beverages BV qui appartient au groupe suédois Haydn Holding AB, l’empire de Frederik Paulsen Jr, multimilliardaire sexagénaire suédois qui a assis sa fortune sur les médicaments issus de la biotechnologie. En dépit de sa richesse, considérable, l’homme est discret, consacrant l’essentiel de son temps, de son énergie et de son argent à diverses activités philanthropiques, mais aussi à quelques aventures industrielles de premier ordre.

Qu’est-ce qui a bien pu le décider à consacrer plus de 10 millions de livres sterling pour produire quelque 500 000 litres de distillat à l’aide d’une seule paire d’alambics dans un coin perdu de l’Écosse ? Je n’en ai pas la moindre idée et son bureau londonien ne fournit du reste aucune explication. Chose très inhabituelle pour une jeune pousse, la distillerie ne propose ni “fûts du fondateur”, ni mise en bouteille du distillat commercialisé sous l’étiquette de “boisson spiritueuse”, ni financement participatif, ni aucun autre de ces dispositifs de levée de fonds auxquels nous nous sommes tant accoutumés ces dernières années.

Pour autant que l’entreprise a dévoilé ses projets, on ne doit s’attendre à rien avant un éventuel 5 ans d’âge commercialisé en édition limitée vers 2022, et comme l’expression standard devrait être un 10 ou 12 ans d’âge, le grand public ne devrait pas trouver de whisky Torabhaig disponible au plus tôt avant 2027. Cela dit, ce ne sera vraisemblablement pas un “dram grand public”, mais plutôt une luxueuse expression très haut de gamme. Les propriétaires de la distillerie semblent convaincus que le marché du whisky premium ne sera pas moins porteur qu’aujourd’hui. Il nous reste à leur souhaiter bonne chance et à saluer leur courage, car les premiers retours sur investissement ne sont pas pour demain. On ne manquera pas pour autant de visiter la distillerie.

Raasay

En quittant Torabhaig, on prendra la voiture pour un court et spectaculaire trajet jusqu’à Sconser d’où l’on embarque pour une brève traversée en ferry jusqu’à l’île de Raasay. Les tarifs sont modestes (tout juste 3,70 £ l’aller-retour pour un passager piéton). Du débarcadère de Raasay, on peut rejoindre la distillerie à pied. Celle-ci appartient à la société Raasay & Borders Distillers qui a également mis en chantier un important projet dans la région des Scottish Borders, entre Édimbourg et l’Angleterre.

R & B Distillers a édifié ici la toute première distillerie licite de Raasay. Une ancienne demeure victorienne est en cours de réaménagement en élégant centre des visiteurs, doté de chambres confortables et décorées avec goût où séjourneront les propriétaires de fûts désireux de rendre visite à “leur” barrique de distillat. La production devrait démarrer en septembre prochain.

Les installations ne sont pas gigantesques : la production annuelle estimée à l’heure actuelle devrait avoisiner les 100 000 litres d’alcool pur. Un chiffre caractéristique de la nouvelle vague de distilleries artisanales, mais même en prévoyant que la totalité de la production soit réservée à l’usage de l’entreprise (excepté les members’casks qui appartiennent aux membres de son club), le stock à considérer dans les trois à cinq ans n’en sera pas moins important, sans parler d’ici vingt à trente ans. Pour l’heure, la distillerie n’a pas encore trouvé son maître-distillateur : les offres d’emploi qu’elle a publiées dans les réseaux sociaux soulignent le caractère exceptionnel de la vie à Raasay et, apparemment, les candidatures viennent de loin, notamment du Canada et d’Afrique, ce qui pourrait pour certains ressembler à un intéressant challenge culturel.

Si tout va bien, après l’embauche d’un distillateur, il est prévu de commercialiser à partir de 2020 environ la moitié de la production, soit quelque 150 000 bouteilles par an, l’excédant du stock étant réservé à une maturation à long terme. L’objectif est plutôt ambitieux, mais la notoriété de la marque et ses futures ventes font l’objet d’intelligentes campagnes diffusées les médias sociaux, soutenues par le lancement d’embouteillages-annonce comme Raasay While We Wait (“en attendant”), un single malt bien évidemment produit par une autre distillerie, mais destiné à préfigurer le style Raasay. L’île éponyme est du reste un petit bijou qui vaut d’être visité pour lui-même.

Tarbert

Enfin, de retour à Skye, on reprendra la route, cette fois-ci vers Uig, dans le nord de l’île, où l’on embarquera dans un autre ferry qui nous mènera à Tarbert sur l’île de Harris. La distillerie est immanquable : c’est la bâtisse affichant sans vergogne sa modernité tout à côté du débarcadère du ferry. Sa production n’ayant débuté qu’en octobre 2015, aucun whisky n’est pour l’heure disponible, mais je ne saurais que recommander son excellent gin embouteillé dans un flacon particulièrement élégant.

Les esprits traditionalistes estimeront peut-être un peu excessive la mainmise du marketing. Tout, en effet, a été très soigneusement planifié pour communiquer des messages de marque cohérents et, ceci confirmant cela, il est fait grand cas de sa revendication de “distillerie sociale, conçue pour, avec et à partir de Harris”. Et, pour ceux qui n’auraient pas compris, des affiches publicitaires vertueuses apparaissent çà et là. Tout est neuf, plus blanc que blanc, si ce n’est un tantinet stakhanoviste à mon goût.

Mais le travail déjà accompli est remarquable : la distillerie a créé une vingtaine d’emplois (ce qui est très important pour les insulaires, même si les bénéfices attendus iront à des investisseurs résidant loin de Harris), et si l’on se fie au gin, le whisky devrait être excellent. C’est donc une distillerie à ne manquer sous aucun prétexte, de même que Harris, île en soi magnifique. Et si un parfait contraste vous intéresse, allez visiter plus au nord la distillerie Abhainn Dearg dans l’île de Lewis : vous y découvrirez une façon très différente de produire du whisky. À vous de voir.

 

Par Ian Buxton

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