Si à Nice, “bisou” se dit “baieta”, en Martinique, ça se dit “bô”. Vous ne voyez pas le rapport ? Prenons la direction le 5e arrondissement parisien où un jeune trio talentueux revendique ses origines à travers deux adresses. Deux restaurants qui chacun à leur façon mettent à l’honneur leurs cultures, niçoise pour le premier, martiniquaise pour le second.
Au printemps dernier, Julia Sedefdjian inaugurait Baieta, son premier restaurant, rue de Pontoise, dans le 5e arrondissement parisien. Avec sa carte à l’accent niçois, celle qui fut la plus jeune étoilée de France ne rend pas seulement hommage à ses origines. Elle prouve une nouvelle fois que le talent n’attend pas le nombre des années. Elle a d’ailleurs renoué avec l’étoile quelques mois seulement après l’ouverture. La jeune chef a également ouvert une deuxième adresse, Bô, un bar à manger caribéen installé à deux pas de Baieta. Étonnant ? Pas tant que ça… Car cette aventure se conjugue à trois et Julia se sent un peu… Martiniquaise. Cette double culture, elle la doit à ses deux associés, Grégory Anelka et Sébastien Jean-Joseph. Si les deux Martiniquais se connaissent depuis l’enfance, ils ont rencontré Julia aux Tables de Lafontaine. Autant dire que le trio travaille main dans la main depuis plus de sept ans. De quoi créer des liens forts, une amitié sans faille. «Nous avons converti Julia à la culture martiniquaise, s’amuse Sébastien Jean-Joseph. Aujourd’hui, elle comprend même le créole. Du coup, on doit faire attention à ce qu’on raconte !» Vous l’aurez compris, pour les trois complices, donner la part belle à la culture caribéenne était aussi évident que mettre celle de Nice à l’honneur. Et ça tombe bien, car qui dit Caraïbes, dit rhum et l’eau-de-vie de canne a résolument le vent en poupe. Pour Julia, c’est aussi une façon de mettre ses deux complices de toujours sous la lumière.
Un bar à manger caribéen
«Je me suis toujours battu contre les clichés, en particulier celui de l’Antillais qui est forcément flemmard mais j’ai toujours mis ma culture en avant, explique Sébastien Jean-Joseph. C’est la même chose avec Bô : nous avons envie de faire découvrir les Antilles à travers la cuisine et le rhum sans rentrer dans les clichés. Du coup, on a préféré une déco très épurée et des mange-debout en bois naturel. Bon, là, ce n’est pas tout à fait terminé : nous avons prévu d’habiller le mur avec une fresque qui représente une distillerie.» Si le lieu ne tombe pas dans le folklore antillais, souvent synonyme de madras, les bouteilles de rhum aux murs et la bande son ensoleillée sont autant d’indices qui mettent très vite dans l’ambiance caribéenne. Quant à la carte, façon tapas, elle casse un peu les codes locaux mais elle reste fidèle aux recettes traditionnelles martiniquaises comme celles du féroce avocat-morue, des boudins du cochon créole ou du chiktay de poulet boucané. Elle aime également s’ouvrir aux spécialités des autres pays des Caraïbes qu’elles soient jamaïcaines, haïtiennes ou même… guyanaises. Rassurez-vous, ils n’ont pas séché les cours de géo : ils savent que le rhum ne connaît pas de frontières. Bô non plus ! L’adresse se présente d’ailleurs comme un bar caribéen et pas seulement martiniquais. En ce moment, on peut ainsi se régaler avec un taboulé de kwak, une recette d’inspiration haïtienne.
Plus décomplexée que celle de Baieta, que ce soit dans son format ou à travers ses recettes très familiales, la carte de Bô n’en reste pas moins exigeante. «Nous travaillons uniquement à partir de produits frais et avec les mêmes fournisseurs que chez Baieta, tient à préciser Sébastien. Il y a une vraie synergie entre les deux adresses. Il n’y a pas beaucoup de bars à manger qui peuvent revendiquer cette qualité.» Les gastronomes ne s’y sont pas trompés : logiquement, le succès est déjà au rendez-vous et la clientèle très métissée. Leur plus belle victoire. La proposition séduit en effet aussi bien les Antillais qui ont le mal du pays, que les “métros” nostalgiques de leurs dernières vacances en Martinique et tous ceux qui n’ont pas encore eu la chance de faire bronzette sous le soleil des Caraïbes. Les amateurs de rhum trouvent également leur bonheur chez Bô : il faut dire que plus de cent références squattent déjà les étagères.
Une adresse dédiée aux rhums
«Comme pour la cuisine et, même si en Martinique, nous avons les meilleurs rhums du monde, notre carte de rhums est très ouverte, précise Sébastien volontairement chauvin. Les amateurs se laissent le plus souvent tenter par des rhums de dégustation âgés, certaines personnes préfèrent boire des cocktails et les autres se laissent guider.» Une chose est sûre, ici, comme dans les Caraïbes, le rhum passe facilement à table. «En Martinique, la seule question qu’on se pose, c’est de savoir si on met un glaçon ou pas dans notre verre. Mais, même à table, on boit du rhum», rajoute Sébastien en se marrant. L’équipe prend néanmoins le sujet du rhum très au sérieux. S’ils reconnaissent mieux connaître les eaux-de-vie nées sur leur île, ils s’initient aux rhums d’autres terroirs au fur et à mesure que leur carte s’étoffe. Pour cela, ils comptent sur les représentants des différentes marques et reçoivent des maîtres de chais des distilleries dès que l’occasion se présente. Et bien sûr, ils goûtent beaucoup : la meilleure façon de percer les secrets du rhum pour pouvoir les partager avec leurs convives.
En matière de cocktails, ils s’inspirent des grands classiques pour élaborer leurs propres recettes. S’ils ne proposent pas véritablement de pairing mets et cocktails, histoire de laisser chacun libre de ses choix, ils conseillent volontiers le Bobo avec le chiktay de poulet boucané, le Saveur Coco avec le tartare de daurade au lait de concombre ou le Old Cuban et Féroce avocat-morue. Ils nous ont même confié leurs recettes. Et ils semblent bien décidés à aller encore plus loin en organisant des soirées de dégustation de rhums à l’aveugle et des dîners cocktail pairing pour séduire les amateurs. S’il ne connaît pas de frontières, ce Bô ne semble pas non plus connaître de limites dès lors qu’il s’agit de gastronomie, de rhum, de partage et de rencontre.
Par Cécile Fortis
Photos Frédéric Albert
Bobo et Chiktay de poulet boucané
Ingrédients :
6 cl de rhum vieux
4 cl de miel
le jus de 3 citrons verts
piment végétarien (doux)
Méthode :
Dans un verre type Old Fashioned, verser le jus de citron, le miel et le rhum puis ajouter un gros glaçon. Mettre la poudre et des morceaux de piment. Bien mélanger à l’aide d’une cuillère à mélange pour que le miel ne reste pas au fond du verre.
Chiktay de poulet boucané (2 personnes)
Ingrédients :
100 g de poulet
100 g de canne à sucre séchée (épicerie exotique)
1 échalote
30 g de piment végétarien (doux)
½ botte d’oignon du pays
1 carotte
10 cl d’huile de tournesol
Méthode :
Faire cuire les filets de poulet au four pendant 12 minutes à 180°. Faire fumer la canne à sucre sous une cocote en fonte avec le couvercle fermé. Mettre les filets de poulet dans la cocote pendant 40 secondes. Éplucher l’échalote et l’oignon puis les ciseler. Peler la carotte et réaliser une brunoise. Mixer dans un petit blender le piment afin d’obtenir une pâte. Tailler le poulet en petits cubes. Mélanger le tout dans un cul-de-poule puis dresser dans des petits ramequins.
Saveur Coco et Tartare de daurade au lait de concombre
Ingrédients :
5 cl de rhum blanc
8 cl de purée de coco
4 cl de lait concentré sucré
zestes de citron vert
Méthode :
Dans un shaker rempli au 3/4 de glaçons, mettre l’ensemble des ingrédients et shaker vigoureusement. Servir dans un verre long drink.
Tartare de daurade au lait de concombre (4 personnes)
Ingrédients :
3 filets de daurade
1 citron vert
3 échalotes
1/4 de botte de ciboulette
Sel/poivre
Piment d’Espelette
2 concombres
1/2 botte de coriandre
1 tomate
1 tranche de pain de mie
100 g de lait de coco
Vinaigre balsamique blanc
Huile d’olive
Pousse de salade
Méthode :
Tailler la daurade en petits cubes, assaisonner avec une échalote et la ciboulette ciselées, et le zeste du citron vert. Ajouter l’huile d’olive, le sel, le poivre et le piment d’Espelette puis mettre au frais pendant 1h. Pour le lait de concombre : tailler les concombres et la tomate grossièrement. Mettre le pain de mie à tremper dans le lait de coco et l’ajouter au mélange. Émincer deux échalotes, ajouter la coriandre et les assaisonnements puis laisser mariner 1 heure avant de mixer le tout. Dresser en mettant le tartare dans des petits ramequins et verser le lait de concombre. Ajouter les pousses de salade et mettre deux filets d’huile et de vinaigre balsamique.
Old Cuban et Féroce avocat-morue
Ingrédients :
4 cl de rhum ambré
2 cl de jus de citron vert
3 dash de bitters Angostura
une tête de menthe fraîche
Champagne
Méthode :
Dans un shaker rempli au 3/4 de glaçons, mettre le jus de citron, le bitters, la menthe et le rhum puis shaker vigoureusement. Servir en filtrant dans une coupette puis compléter avec le champagne.
Féroce avocat-morue (2 personnes)
Ingrédients :
1 avocat tropical (plus gros et plus ferme)
1 carotte
1 concombre
100 g de morue
1 échalote
50 g de chapelure de manioc
10 cl d’huile de tournesol
1 citron vert
50 g de piment fort
½ botte d’oignon du pays
Méthode :
Dessaler la morue pendant 3h sous un filet d’eau. Verser de l’eau bouillante sur la morue afin de la cuire puis égoutter pendant 2h. L’effilocher pour garder la chair. Écraser l’avocat à la fourchette. Peler et ciseler la carotte, le concombre et l’échalote. Mélanger dans un cul-de-poule puis ajouter la chapelure, l’huile de tournesol et le citron vert. Former des petites quenelles avec des cuillères. Dresser et servir avec un pain croustillant.