Avec Camille Hedin, elle a créé H. Theoria, une collection de liqueurs aux noms évocateurs qui bousculent les codes des spiritueux en s’inspirant du monde de la parfumerie.
La naissance de H. Theoria est liée à votre amitié avec Camille. Pouvez-vous nous raconter vos parcours ?
Camille, qui est passionnée de gastronomie, est diplômée de l’Edhec : lorsque nous nous sommes rencontrées, elle dirigeait l’une des boutiques Lenôtre à Paris. De mon côté, j’ai commencé par un IUT de génie biologique en science et industrie alimentaire avant de faire un stage chez Gabriel Boudier. J’ai ensuite intégré l’ISIPCA où je me suis spécialisée en aromatique alimentaire puis, pendant quatre ans, j’ai géré le service R & D du FoodLab où j’ai eu la chance de travailler avec Christophe Laudamiel, mon mentor. On imaginait des expériences sensorielles qui mêlaient la science et les arts. Avec un parfum, on raconte une histoire : j’avais envie d’avoir la même approche dans les spiritueux, de reproduire le goût des émotions. Un soir, Camille m’a dit : « On va le faire ! ». Trois ans plus tard, nous avons lancé Perfidie, Hystérie et Procrastination.
Il y a des personnes qui ont cru en vous et en votre projet ?
Pour nous lancer, nous avons fait appel aux banques et la maison Gabriel Boudier nous a beaucoup aidées que ce soit financièrement ou en nous fournissant toutes les matières premières dont j’avais besoin. Pour le packaging, nous n’avions pas les moyens de créer notre moule mais nous avons trouvé une bouteille qui rappelle la parfumerie. Nous avons ensuite travaillé avec Samy Halim (illustrations) et l’agence Pixelis (ADN). Nous voulions que nos étiquettes racontent une histoire elles aussi. D’ailleurs, ils ont remporté un Pentawards avec cette création devant des agences comme Stranger & Stranger.
Comment vous imaginez la formulation de vos liqueurs qui comptent chacune plus de vingt ingrédients ?
Je pars des mots. J’adore la poésie, les mots m’inspirent. Ensuite, je me sers des ingrédients pour retranscrire des sensations, pour sensualiser nos vies, nos qualités et surtout nos défauts qui sont essentiels dans la personnalité de chacun. Procrastiner, finalement, c’est prendre du temps pour soi, c’est une prioritarisation de nos plaisirs. J’ai repensé aux longs moments passés seule à fouiller chez grand-mère où rien n’a bougé, aux livres anciens un peu poussiéreux que je trouvais dans le grenier… Pour Procrastination, je voulais retranscrire le cuir par exemple. Son côté animal est apporté par le jasmin, la touche un peu tannique je l’ai trouvé dans le thé, l’aspect velours vient des haricots azuki qui n’avaient encore jamais été utilisés dans les spiritueux ou encore l’orange amène une touche un peu cireuse. Je ne me fixe aucune limite si ce n’est celles liées à la réglementation et à l’approvisionnement. Une fois que ma formule est écrite, je pèse, j’élabore la liqueur et je travaille au nez. Je goûte uniquement si l’équilibre olfactif me convient. J’aime beaucoup qu’il y ait des ruptures entre le nez et la bouche.
Vous vous apprêtez à lancer une nouvelle création…
Nous travaillons sur plusieurs pistes et c’est un vrai plaisir pour moi de retrouver ma paillasse pour créer, mais c’est un peu tôt pour vous en dire davantage. Une chose est sûre, ce sera une édition limitée. Plutôt que d’étoffer notre collection, nous avons envie de proposer régulièrement des éditions limitées. Si l’une d’entre elles a vraiment du succès, elle pourra peut-être devenir une référence permanente.
Vous avez d’autres projets ?
Nous réalisons actuellement une levée de fonds. L’objectif principal est de pouvoir recruter pour accompagner notre développement, en particulier à l’export. Nous sommes déjà présentes en Grande Bretagne, en Allemagne, en Italie, en Suisse, en Norvège et en Corée du Sud : nous aimerions aussi nous lancer sur les marchés américain et japonais. Nous souhaitons également ouvrir un lieu : une sorte de showroom où se trouverait également mon laboratoire, et où nous pourrions organiser différents événements.
Propos recueillis par Cécile Fortis