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Avec du whisky, du gin et de l’Acerum, un spiritueux issu de la distillation de sirop d’érable, la distillerie du St. Laurent, à Rimouski, au Québec, s’apprête à s’agrandir pour tripler sa production. Avec les deux fondateurs, Joël Pelletier et Jean-François Cloutier, interview fleuve… Saint Laurent oblige !

Pouvez-vous nous raconter l’histoire de cette distillerie du St. Laurent ?

La Distillerie du St. Laurent est née de l’addition de trois faits très simples :

– Le Bas-Saint-Laurent est le plus important producteur d’orge au Québec.

– L’orge est le principal ingrédient du Single Malt Whisky.

– Il n’y a aucun producteur de Single Malt au Québec

C’est tout. Il n’en fallait pas plus pour qu’on se lance dans l’aventure de la distillation de Whisky !

En fait, l’histoire de la distillerie est un peu plus complexe que cela. Pour bien comprendre les débuts de l’Aventure, une mise en contexte historique s’impose.

De tous les territoires canadiens et américains, le Québec est celui où la prohibition d’alcool a duré le moins longtemps – même pas une année complète, dans les faits. Le Québec la rejette dès 1919, ce qui lui vaut à l’époque le surnom de « cloaque » de l’Amérique du Nord! Il était donc possible de produire et de vendre de l’alcool au Québec, mais de façon très réglementée et prohibitive. Ces restrictions ont mené à la création de réseaux de contrebande de spiritueux pour alimenter le reste du Canada et les États-Unis, territoires encore “secs”. La région du Bas-Saint-Laurent, précisément celle de Rimouski où se situe la Distillerie du St. Laurent aujourd’hui, a été une plaque tournante de la contrebande de Whisky dans le début des années 20.

Après la prohibition, la production de bière et de spiritueux au Québec était réservée à quelques grandes entreprises. Aucune production ne se faisait à plus petite échelle, si bien que les Québécois ont perdu tout le savoir-faire brassicole et de distillation pendant plusieurs décennies.

Le début des années 1990 ont vu la naissance des premières micro-brasseries et producteurs de cidre artisanal du Québec – les Québécois se réappropriaient enfin la production d’alcools. Dans cette même mouvance de souveraineté alimentaire et de redécouverte du terroir, la première vague de micro-distillerie voit le jour 25 ans plus tard. Née en 2015, la Distillerie du St. Laurent fait partie de cette première vague de pionniers.

Puisque nous avons au Québec du grain en quantité, de l’eau de qualité et le savoir-faire brassicole, pourquoi alors importer d’ailleurs les spiritueux qu’on boit ici? Cette interrogation marque le point de départ de notre grande Odyssée et de la fondation de la Distillerie du St. Laurent.

La distillation maison étant illégale au Canada, l’aventure a démarré par quelques tests de “distillation d’huiles essentielles” dans un sous-sol de Rimouski… L’amitié entre Jean-François Cloutier et Joël Pelletier – les deux fondateurs – s’est forgée autour de la découverte de la distillation. D’un simple hobby est née une passion. D’une passion est né le projet d’une vie.

Rimouski est situé au Bas-Saint-Laurent, région située sur la Rive-Sud du grand Fleuve Saint-Laurent. C’est à cet endroit que le fleuve devient estuaire, puis golfe. La région possède une riche histoire maritime. La voie maritime du Saint-Laurent est en effet à l’origine de la colonisation du Canada.

La région vit de l’agriculture, de l’industrie du bois, de l’acériculture (production de sirop d’érable) et de la chasse à l’orignal. Bref, les grands espaces naturels – la mer, les champs, la forêts – constituent notre milieu de vie.

Les spiritueux St. Laurent sont le reflet de cette nature sauvage et abondante. Nos spiritueux sont inspirés par l’air salin de ce grand fleuve et s’imprègnent de notre climat nordique et maritime.

 

La distillerie commence la construction de la nouvelle distillerie. Quelle est la base de ce projet ? Et son objectif final ?

Depuis le début de l’aventure St. Laurent, notre vision est de distiller et de faire le vieillissement de nos spiritueux en bord de mer. L’objectif final ? À l’image des Scotchs écossais d’Islay, nous voulons produire des Whiskies résolument maritimes.

Le défi que représente le démarrage d’une telle distillerie de Whisky indépendante est énorme. On ne disposait que de très peu de moyens financiers au démarrage. Nous avons donc opté pour aménager un petit local de Rimouski pour débuter nos opérations de façon très modeste.

En seulement 5 ans, nous sommes passés du stade de la petite startupde spiritueux opérée par deux amis les soirs et les fins de semaines à celui de leader du mouvement de la micro-distillation québécoise exportant ses produits dans une douzaine de pays. Cette croissance rapide se voit maintenant ralentie par les contraintes physiques de notre petit local: manque d’espace pour le vieillissement en baril, capacité d’accueil de visiteurs quasiment nulle, etc. L’entreprise ayant acquis une certaine maturité et notoriété, nous sommes maintenant prêts à passer à la prochaine étape.

Le site historique maritime de la Pointe-au-Père, situé à Rimouski, représente le lieu idéal pour construire une distillerie en bord de mer. Ce site touristique accueille déjà plus de 75 000 visiteurs en saison estivale et il y a de la place pour construire une distillerie et plusieurs entrepôts à barils. Après 3 ans de démarches et de négociations, nous venons d’acquérir le terrain et avons débuté les travaux de construction.

La première étape est la construction d’un chai de vieillissement en bordure du fleuve, un rêve qu’on caressait depuis très longtemps. Les murs en gabions de pierre de l’entrepôt à barils seront perméables. Les spiritueux en vieillissement seront donc fortement influencés par l’air salin du large et les variations de température extrêmes du Québec — une innovation qui contribue à notre désir d’embouteiller notre terroir.

L’étape suivante consistera en la construction de la nouvelle distillerie elle-même, ainsi que l’aménagement d’un chai de vieillissement, un café-bar avec terrasse face à la mer, un espace dégustation et une boutique s’ajouteront aux installations de production.

Le projet prévoit également l’achat d’équipements supplémentaires, notamment l’ajout d’un deuxième alambic de cuivre de 2000 litres de fabrication canadienne, qui permettront à l’entreprise de passer le cap des 500 barils de Whisky et d’Acerum produits annuellement. Distillerie du St. Laurent se positionnera ainsi comme l’un des plus importants producteurs de spiritueux du Québec et de l’Est du Canada.

 

Vous allez tripler la production. Aujourd’hui quelle est votre cible et que visez-vous comme objectif, quel marché ?

La grande majorité du Whisky consommé au Québec est importé. Il en était de même pour le Gin avant l’arrivée des premières micro-distilleries au Québec. Dans une optique de souveraineté alimentaire, notre objectif premier est donc d’offrir des spiritueux d’une qualité exceptionnelle produits localement afin de satisfaire à la demande de notre marché domestique.

Depuis 5 ans, nous participons à l’essor de la popularité des spiritueux québécois. Le St. Laurent Gin, infusé aux algues, est devenu un favori local avant de se faire remarquer à l’international. Aujourd’hui, il est distribué dans une dizaine de pays: aux États-Unis, en Europe, en Asie et en Australie. Nous entrevoyons maintenant les mêmes perspectives de développement pour notre Whisky et pour l’Acerum.

Nous constatons déjà une soif pour nos Whiskies à l’international. Les amateurs sortent de plus en plus des sentiers battus et explorent des nouvelles régions productrices de Whisky à la recherche de spécificités locales. On a vu l’engouement grandir pour les Whiskies du Japon, de Taïwan, de l’Inde, et même de régions aussi éloignées que la Tasmanie.

Curieusement, même si le Canada est considéré historiquement comme un important producteur de Whisky, l’offre de Whisky “craft” digne d’intérêt reste très limitée. Les grandes distilleries canadiennes ont toujours misé sur la quantité plutôt que la qualité, si bien que la notoriété des Whiskies d’ici reste à construire. En d’autres termes, le Whisky canadien est “bien”, mais il n’est pas “wow!”. On compte bien participer à redorer le blason des Whiskies canadiens à l’international en proposant des produits distinctifs et identitaires.

 

Ouvrir café-bar avec terrasse, espace de dégustation, c’est un pari en temps de Covid. Combien de temps vont durer les travaux et y a-t-il des mesures particulières prises ?

Les travaux ont débuté en octobre 2020 selon les règles sanitaires en vigueur et la construction se poursuivra jusqu’en début 2022. L’ouverture officielle au public se fera au printemps 2022. Espérons que la COVID ne soit plus un enjeu à ce moment…

 

En faisant appel à des architectes de renom, vous optez pour une nouvelle signature; quelle image souhaitez-vous donner à la distillerie du St. Laurent ?

Pierre Thibault est un architecte très inspirant qui influence positivement le paysage architectural québécois. Nous lui avons confié la conception de notre nouvelle distillerie parce que nous partageons sa vision de l’architecture, c’est-à-dire des bâtiments lumineux, faits de matériaux locaux et intégrés harmonieusement au milieu naturel – ici, le bord de mer.

Le bâtiment iconique en bois, qui met en valeur le patrimoine maritime et le paysage exceptionnel du site, deviendra un symbole et une signature tant pour Distillerie du St. Laurent que pour toute la région.

La qualité d’accueil des visiteurs et l’aspect éducatif sont au coeur de la conception de la nouvelle distillerie. Les amateurs de spiritueux pourront parcourir le chemin de la matière première à la bouteille en sillonnant les installations et le chai de vieillissement pour terminer leur visite par une dégustation sur la terrasse en bord de mer.

En bref, l’architecture de la nouvelle distillerie est à l’image de la philosophie qui guide l’entreprise depuis nos débuts. “ Nos spiritueux sont le reflet de notre région, de son climat et des traditions qui l’habitent — auxquels se mêlent une bonne dose d’innovation et d’excentricité! « 

 

L’ancrage régional semble important pour ce projet. Pour quelles raisons ?

Au-delà des objectifs de l’entreprise, c’est notre volonté de développer et de faire rayonner la région qui nous motive à aller de l’avant avec ce projet d’expansion. Nous adorons notre région et nous saisissons le plein potentiel de développement de spiritueux qu’elle offre, tant au niveau de l’abondance des aromates, des terres agricoles non-cultivées, de la proximité des érablières et de la beauté époustouflante des paysages maritimes. C’est un terrain de jeu immense hors des grands centres urbains où tout est à développer. Avec la construction de la nouvelle distillerie, on souhaite faire de notre région l’épicentre de la production de Whisky et d’Acerum au Québec.

Le Bas-Saint-Laurent est le plus grand producteur d’orge du Québec. Allez-vous opter pour une production encore plus « terroir » ?

Le grain utilisé pour notre whisky provient exclusivement du Québec. Le seigle et l’orge proviennent du Bas-Saint-Laurent. Ce sont des céréales très bien adaptées à notre climat nordique, à nos été frais et courts. L’orge est malté par Maltbroue au bord du lac Témiscouata, près de Rimouski. Le maïs est récolté en Montérégie, puisque le climat y est plus chaud. Pour ce qui est du sirop d’érable utilisé pour notre Acerum, il est le produit d’une érablière locale située à quelques kilomètres de la distillerie. Difficile d’être plus local!

 

Pouvez-vous nous parler de vos diverses productions (Gin, Acerum et whisky) et de la spécificité de cette production ?

Nous prenons plaisir à produire des spiritueux excentriques inspirés par la mer.Le St. Laurent Ginest un spiritueux non-consensuel et particulier au goût marin et iodé. Après une infusion à la vapeur d’aromates exotiques dans un panier unique de type «scaphandrier», notre gin est lentement macéré avec des algues laminaires récoltées à la main au large de L’Isle-Verte au Bas-Saint-Laurent.

À l’opposé du spectre aromatique, le St. Laurent Gin Citrusest un spiritueux inspiré par nos voyages au Japon et au Vietnam. Les artisans de la Distillerie du St. Laurent présentent un Gin aux agrumes distillés à froid dans un alambic vacuum expérimental.

Dans un alambic traditionnel, l’alcool s’évapore à 78°C, ce qui “cuit” et dénature les aromates délicats tels que les agrumes et les fines herbes. L’utilisation d’un alambic vacuum change complètement la donne. En retirant l’air de l’alambic à l’aide d’une pompe, on réduit drastiquement la pression, ce qui permet à l’alcool de s’évaporer à seulement 30°C, soit la température ambiante où sont récoltés les agrumes utilisés dans le St. Laurent Gin Citrus. Résultat? On distille les huiles essentielles d’agrumes et d’herbes sans altération.

Le St. Laurent Acerumest une eau-de-vie noble qui révèle les arômes délicats et raffinés de la sève d’érable distillée. Les seuls ingrédients utilisés pour la fermentation sont du sirop d’érable du Québec, de l’eau et des levures. Le moût d’érable est ensuite distillé deux fois dans un alambic en cuivre de type écossais. Aucun édulcorant ou substance aromatique n’est ajouté au précieux distillat. Le St. Laurent Acerum est ensuite élevé en fûts de chêne neuf et usagé pendant plus d’un an.

Plus de 25 litres de sève d’érable sont nécessaires pour parvenir à produire une seule bouteille. L’un des spiritueux les plus laborieux à distiller, l’Acerum est une innovation qui rend hommage à nos traditions ancestrales de la cabane à sucre. Nous sommes fiers d’être parmi les pionniers de la distillation du sirop d’érable et de faire partie des instigateurs de l’appellation protégée Acerum, dont la certification est en voie de devenir une Indication Géographique Protégée (IGP).

Fermenté sur grain, distillé deux fois en alambic de cuivre et vieilli 3 ans en fût de chêne neuf, le St. Laurent Whisky 3 Grains s’inspire du whisky typiquement américain. Un classique des Appalaches fait de maïs du Québec ainsi que de seigle et d’orge malté du Bas-Saint-Laurent. Spiritueux 100% québécois, le St. Laurent Whisky 3 Grains saura plaire autant aux amateurs de Bourbon et de Whisky canadien qu’aux curieux cherchant un produit facile d’approche pour s’initier au monde des whiskies.

 

Quand on triple sa production, est-on encore une micro-distillerie ? Est-on encore libre de sa production face au marché ?

Même en triplant notre capacité de production, nous demeurons un très petit joueur dans l’univers du Whisky. Nos nouvelles installations nous permettront de poursuivre notre mission, qui est de produire des spiritueux avec des ingrédients d’ici, par des gens d’ici, pour les gens d’ici.

Nous allons rester une entreprise à échelle humaine, près de notre communauté et de nos fans. La notion de plaisir est à l’origine de la création de notre entreprise, et on souhaite que ça se poursuive. L’équipage de la distillerie est comme une petite famille – nous sommes très fiers d’opérer entre amis une distillerie indépendante face aux grands noms de l’industrie. Les mots “Fier. Obstiné. Indépendant” sont écrits sur chacune de nos bouteilles depuis le premier jour. Je crois que ça en dit long sur qui nous sommes !

 

Par François de Guillebon

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