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WhiskyNews

Les derniers survivants

By 20 août 2018juillet 15th, 2022No Comments

La trilogie Rare Cask Series de Bruichladdich nous parle de la fragilité des choses. Distillés au plus fort de la crise des années 1980, ces trentenaires d’exception racontent à eux seuls la profonde évolution du whisky.

Prenons le temps de les savourer. Car ces whiskies reviennent de loin, messagers surgis d’un passé qui a failli les enterrer. En février, Bruichladdich a sorti en France trois single malts âgés de 30 et 32 ans, frappés de leur année de distillation et de leur âge tranché d’un slash : 1984/32, 1985/32 et 1986/30. Et ce faisant la distillerie d’Islay nous invite à la réflexion sur le temps, les aléas de l’histoire, la fragilité des choses, l’évolution d’une industrie. Ces whiskies d’exception – « the last of their kind », dit le master distiller Adam Harnett – ont survécu au Whisky Loch, la grave crise de surproduction qui frappe l’Écosse dans les années 1980, entraînant la fermeture de moult distilleries – Banff, Coleburn, Glenlochy, Millburn, Dallas Dhu, Convalmore, Brora, Manochmore, Linkwood…

Sur Islay, le désespoir s’est installé durablement : à la crise s’ajoute le peu de goût des amateurs pour la tourbe. Difficile à comprendre de nos jours, n’est-ce pas ? Versatiles sont les foules… Port Ellen tombe le rideau en 1983, Ardbeg ferme pendant pratiquement toute la décennie, Bunnahabhain met la clé sous la porte durant deux ans (1982-84) et ne chauffe les alambics que par intermittence. Et Bruichladdich, temporairement réduite au silence vers la même époque, tourne elle aussi au ralenti. La belle du Loch Indaal appartient alors à Invergordon Distillers (qui tombera dans la besace de Whyte & MacKay en 1993). Et ne tourne que pour alimenter les blends.

Single malts intacts

Prenons le temps de les savourer. Ces whiskies sont des survivants. Des single malts rares, non réduits, non colorés, non filtrés à froids : intacts. 1984/32 Bourbon : All In rassemble les douze derniers tonneaux (3 000 bouteilles) remplis en une année chère à Orwell. Il a vieilli en fûts de bourbon et hogsheads de second remplissage, à une époque où l’on ne s’embarrassait guère de sélectionner la futaille. Mais en 2008, Jim McEwan, alors maître distillateur, l’emmaillote en ex-fûts de bourbon de premier remplissage, plus actifs, pour le réchauffer et en faire ce charmeur plein de gourmandise, au nez démentiel. Une double maturation menée de main de maître, déclinée sur les deux autres volumes de la trilogie. 1985/32 Bourbon : Hidden Glory marie les vingt-deux derniers fûts (4 200 bouteilles) de 1985. Vieilli en fûts de bourbon de troisième remplissage, il est “pimpé” comme son aîné en 2012 avant de connaître un affinage supplémentaire en barriques de chêne français. Un parcours plus sinueux qu’on retrouve dans les arômes, où le nez ne prépare pas aux sensations en bouche. 1986/30 Sherry : The Magnificent Seven tire son souffle des sept derniers fûts (4 200 bouteilles) de 1986 raclés dans les chais. Imprégné d’oloroso jusqu’en 2012 avant un passage en fûts de Pedro Ximenez. La sherry bomb à son meilleur, sombre et profonde.

Prenons le temps de les savourer. Ces single malts sont un symbole. Des whiskies dont plus personne ne voulait, devenus aujourd’hui des produits de luxe que l’on s’arrachera. Un paradoxe qui résume l’évolution de toute une industrie.

Bruichladdich Rare Cask Series : 1984/32 (70 cl, 43,7 %), 1985/32 (70 cl, 48,7 %), 1986/30 (70 cl, 44,6 %) : 906 € chacun.

Par Christine Lambert

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