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Depuis quelque temps, l’emblématique embouteillage de la distillerie d’Islay disparaît des rayons, devient très compliqué à dénicher. Et la crainte de sa disparition nous pousse à réévaluer complètement le statut de ce grand classique qu’on aimerait croire éternel.

 

Désolée de vous avoir fichu la frousse – vous avez remarqué combien on s’effraie aisément ces derniers temps ? Non sans raisons, notez bien. Récemment, un malheureux tweet accompagné d’une photo de ma dernière bouteille de Lagavulin 16 ans a semé un début de panique sur le réseau à l’oiseau bleu : « Attention espèce en danger. Si vous tombez dessus, faites des réserves. Préservons la biodiversité. » Whut ? Plus de Laga en rayon ? Apportez-moi le défibrillateur, les sels ne vont pas suffire !

A Paris, deux ou trois cavistes importants m’avaient alertée : marée basse sur le Laga, plus compliqué à réassortir qu’un tapis de bain en paillettes de licorne albinos. Le site de La Maison du whisky : en rupture de stock. Les deux Monop accessibles à pied sans trekker des heures dans mon quartier : dévalisés. Là, j’ai commencé à me rallier à l’avis général suggérant que 2021 ne commençait sans doute pas si bien.

Vos réponses paniquées n’ont rien arrangé. Les réactifs ont vite fait circuler les tips de pénurie (« J’ai repéré deux spots où on peut en trouver sur Paris, adresse en DM »), les affolés m’ont posté leurs photos de rayons vides, les pragmatiques se sont rabattus sur le 8 ans et le Distiller’s Edition, mais l’angoisse est montée d’un cran : et si Diageo, la maison mère, débranchait ce 16 ans, emblème d’une des plus légendaires distilleries écossaises ?

 

Un jour les whiskies meurent (mais de préférence pas en 2021)

On reconnaît le bonheur au bruit qu’il fait quand il s’en va, prévenait Jacques Prévert. Lagavulin 16 ans incarne ce bonheur en bouteille qu’on croit acquis à vie, ce miracle renouvelé qu’on finit par ne plus voir. En réalité, il a toujours été distribué parcimonieusement, sous allocation, quasiment depuis son lancement en 1988 avec les Classic Malts puisque dans les années 1980 la distillerie tournait à peine deux jours par semaine (24/7 aujourd’hui). Mais le marché français, le plus important consommateur de scotch, avait tendance à l’oublier du haut de ses privilèges.

Un jour, les whiskies meurent et il ne nous reste que les larmes pour en diluer les dernières gouttes – les boomers pleurent encore la disparition du Lagavulin 12 ans White Horse, devenu collector. Et pour tout vous dire, depuis la sortie du 8 ans (lire ici) je m’attends au pire : pourquoi continuer à vendre – y compris et surtout en grandes surfaces – un whisky deux fois plus âgé au même prix ? Surtout, par quel miracle la distillerie Lagavulin (2,5 millions de litres d’alcool pur par an) parvient-elle à nous alimenter en 16 ans quand toutes ses voisines d’Islay gèrent la pénurie sur les comptes d’âge supérieurs à 15 ans ?

Eh bien justement, elle ne gère plus. Ou plutôt, elle n’a pas anticipé en 2004-2005 que vous auriez plus que jamais envie de vous tourber les narines et la luette en tournant la page de 2020. Je tiens néanmoins à vous rassurer : on m’affirme chez MHD, le distributeur, que la pénurie est temporaire, histoire d’une grosse année tout au plus. Pas question d’arrêter le 16 ans, promis, juré (pas cracher) ! Et pourtant.

Les whisky snobs lui préfèrent le 12 ans, qui fait l’objet d’une édition limitée annuelle cask strength dans les Special Releases, la collection de malts rares proposée chaque automne par Diageo. Les geeks recherchent les embouteillages Fèis Ile ou Islay Jazz Festival, vendus uniquement à la distillerie. Les gourmands apprécient la tourbe richement fruitée du DE (personne ne dit Distiller’s Edition), les SM (personne ne dit sado-maso) se rabattent sur le 8 ans, pérennisé il y a trois ans à 48% – une claque tourbée tranchante à souhait. Le 16 ans ? Le tourbé de papa (lire ici). Un whisky à boire, pas un objet de collection. Un Islay de plaisir, un single malt best-seller, pas une quille à flipper. Mais qu’il menace de disparaître, et soudain toute la communauté des peat freaks se sent tourner de l’œil.

 

Par Christine Lambert

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