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Je profite de cette parenthèse virale pour sortir du placard les verres accumulés depuis des années en vue d’une dégustation comparative. Sans surprise, le choix du gobelet impacte la perception du goût du single malt. Mais surprise quand même : cet impact est parfois impressionnant.

 

Tétanisée face à mon verre telle une poule angora devant un peigne, je n’ai pas reconnu mon Lagavulin 16 ans. Il faut dire que, pour les besoins d’une courte vidéo, je l’avais versé dans le très inhabituel “blender glass” de The Whisky Lodge, qui fait toujours son petit effet. En général, je m’en tiens aux petits verres tulipes ou aux copitas, simplement parce que ce sont ceux que je possède en plus grand nombre, ils me permettent donc d’éliminer les biais lors des dégustations comparatives. Mon Laga dispersé façon puzzle, je l’ai pris comme un signe : il était temps de sortir les verres à whisky que j’accumule depuis des années pour vérifier de façon empirique (traduire : au doigt mouillé dans l’alcool à 40°) et personnelle (voilà pourquoi) dans quelle mesure le choix de la timbale détermine la perception olfactive d’un single malt.

Dix verres ont été mis à contribution : un Chef & Sommelier Spirits Ambient (A), un Riedel Veritas Spirits (B), un Blender Glass de The Whisky Lodge (C), un Spiegelau Authentis Digestive (D), un Spiegelau Whisky Snifter Premium (E), un petit tulipe de base (F), un snifter générique (G), un Glencairn (H), un Riedel Vinum Single Malt (I)et le grand classique, une copita (J).

Ils ont d’abord subi les outrages d’un Lagavulin 16 ans (43%), pendant une heure environ, le temps d’évaluer l’évolution du whisky à l’aération. Et devant les résultats plus marqués que ce à quoi je m’attendais, ils ont par la suite passé au crible un whisky plus subtil, délicatement fruité, non tourbé, embouteillé à degré plus élevé (48%) : le Glenlivet Nadurra Triumph 1991 (19 ans).

Faut-il en finir avec les verres à col tulipe ?

Je vous épargne le tasting minute par minute, arôme par arôme, pour sauter d’emblée aux conclusions. Première leçon : le choix du verre détermine profondément (et non pas légèrement) le ressenti de la force alcoolique et de certaines notes aromatiques. Deuxième leçon : le dogme du verre à col tulipe, qui règne en maître dans les dégustations, mérite peut-être d’être interrogé. Troisièmement : vous pouvez considérablement diminuer votre budget whisky en investissant dans différents verres au lieu de renouveler fréquemment le cheptel de bouteilles pour nourrir votre curiosité.

Creusons un peu à présent. Le principal défaut de ces verres ? Ils vous lâchent au nez une bouffée d’éthanol variable en intensité et en durée. Pour vous napalmer les narines, la copita, le Glencairn, le snifter, le Chef & Sommelier, le Spiegelau Authentis et, dans une moindre mesure, le petit tulipe se distinguent. Or, à ces concentrations supérieures à 40%, l’alcool anesthésie les récepteurs olfactifs, vous empêchant pendant un bon moment de percevoir les arômes planqués derrière. Un peu fâcheux si l’on admet que la perception olfactive contribue à près de 90% au goût (lire par exemple ici) – ce n’est pas pour rien que les blenders réduisent leurs échantillons à 18-24% d’alcool.

Seuls le Riedel Vinum avec son col évasé et le Spiegelau Snifter au buvant profond domptent l’éthanol : le whisky tourbé se fait plus discret, plus subtil, plus doux, on perçoit bien plus vite les autres couches aromatiques ; en revanche, il est nécessaire d’allonger la dose dans les deux premiers verres (3 à 4 cl contre 2 pour le test).

Le Blender Glass renforce les notes végétales, herbacées, qui s’expriment au premier nez, surtout sur la tourbe, et conserve la sensation nerveuse de l’alcool durablement dans le temps. Par la suite, à chaque tourbillon imposé au liquide d’un mouvement du poignet, le verre déshabille le whisky note par note, en cascade. Et même une heure après, il suffit de le faire tournoyer pour réveiller les arpèges aromatiques qui s’échappent du vortex. Un outil parfait pour les débutants ou les geeks qui cherchent à décortiquer le liquide. Le hic ? On se décapsule les cervicales quand on renverse la tête en arrière pour siroter.

Team Riedel ou team copita?

Le snifter générique rafle sans le moindre doute la palme du verre le plus décevant, celui qui aplatit le single malt, réduit sa complexité et l’enterre en une demi-heure. Le Chef & Sommelier s’adresse à ceux qui apprécient les whiskies sous tension, taillés à l’os : les arômes tardent à s’ouvrir, les notes boisées prennent le dessus, pour un rendu austère. Le petit tulipe s’impose comme un bon compromis, middle of the road. Il faut laisser le whisky reposer, attendre que l’alcool se calme, mais il rend davantage justice au single malt fruité qu’au tourbé. Le Riedel Veritas, qui semble monté sur échasse (un pied de 14 cm, la copita lui arrive au garrot), décortique les fruits en rafale avec une grande finesse, et développe toute la palette du Glenlivet, travaillant en subtilité ; c’est aussi le verre qui fait ressortir le plus le fruité du Lagavulin. Son point faible : sa grande fragilité, vous n’aurez pas envie de le laver tous les jours – et avec ses 24cm de hauteur il ne rentre pas dans tous les placards. Le Spiegelau Snifter, de son côté, égrène rapidement la complexité des notes des deux whiskies cobbayes, tout en adoucissant la tourbe : un réceptacle qui équilibre les jus (je ne m’attendais pas à ce qu’un verre aussi grand marque autant de points).

L’Authentis s’en sort bien sur le whisky fruité, en intégrant parfaitement l’alcool à la longue, mais il rajeunit le Lagavulin, le tend comme une arbalète, semble lui ajouter des degrés et du tirage tourbé dans la cheminée : les amateurs de sensations fortes apprécieront. Le Vinum assemble finement toutes les pièces du puzzle, garant d’une belle complexité (les fruits tropicaux légèrement ranciotés du Glenlivet s’y expriment en beauté), et en adoucissant la perception du whisky le rend plus gourmand. Sans doute celui qui « améliore » le plus le liquide : il ravira ceux qui recherchent la subtilité et déconcertera les pyromanes qui cherchent la douce brûlure.

Le Glencairn s’impose dans les boutiques… mais pas dans les chais

Cela fait quelques années déjà que je ne trouve plus mon compte dans le Glencairn, et cette dégustation le confirme. Quand il a commencé à se diffuser largement en Ecosse, il y a une dizaine d’années, j’étais plutôt conquise par sa forme à la fois familière (une tulipe) et originale (le pied court et trapu), sa résistance au lave-vaisselle, et par sa capacité à créer une identité forte – le seul verre dédié au whisky –, un sens d’appartenance à une communauté. Mais, à l’usage, je préfère les verres à pied, plus faciles à faire tournoyer si besoin, et les buvants moins hauts. Surtout, dans cette dégustation comparative, il s’en sort très moyennement, même si les arômes restent constants sur la durée dans le verre. Son principal défaut : il retient l’alcool et relègue les arômes les plus subtils en arrière-plan. Il est d’ailleurs amusant de voir à quel point il a envahi les boutiques des distilleries… mais pas les chais ni les blending rooms, où règne toujours en maître la copita.

La copita, pour terminer. Elle aussi déçoit en se frottant à la concurrence. Elle capture l’éthanol et les notes boisées, s’en sort mieux avec les whiskies à faible degré et sur la tourbe. Ce petit verre créé pour déguster le xérès (soit un alcool à 20% environ) domine pourtant l’industrie depuis une centaine d’années, et la plupart des verres prétendant lui succéder s’inspirent de sa forme et des proportions de son gobelet (j’aurais bien aimé passer au crible les verres NEAT, Norlan et Peugeot qui s’en éloignent : en ce moment on fait avec ce qu’on a, partie remise). Mais cette histoire-là, je vous la raconterai dans un autre chapitre. Nous n’avons fait qu’effleurer le sujet.

 

Par Christine Lambert

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