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Et du rhum sous le sapin ? Du cognac sous papier cadeau, du gin au gui l’an neuf ? Sérieusement, à l’approche de Noël, il sera bientôt plus facile de traverser le Mordor en tongs fingers in the nose que de mettre la main sur une bouteille de spiritueux.

 

Y aura-t-il des jouets à Noël ?, s’interrogeait Libération dans son édition du 19 octobre, égrenant les pénuries qui frappent le commerce mondial. Des jouets, passe encore, fallait pas croire au Père Noël, les enfants ! Non, la vraie question, qu’on n’ose poser à voix haute sans frissonner d’angoisse, c’est plutôt : y aura-t-il de la gnôle sous le sapin ?

Y aura-t-il du whisky dans les guirlandes, du rhum enfrouisouillé dans le bolduc, du cognac sous papier cadeau, du gin au gui l’an neuf, de la vodka dans… (nan, pour la vodka, je déconne) ? Partout dans les chaînes d’approvisionnement des spiritueux, des goulots d’étranglements et de méchantes pénuries paralysent la production que – cerise sur le Christmas cake – le ralentissement des transports achève de mettre à mal.

Que s’est-il passé ? Eh bien, une pandémie mondiale de covid, obviously. Mais pas que. Les phénomènes météo extrêmes ont plombé les récoltes céréalières, à commencer par l’orge : sècheresse dramatique aux Etats-Unis et au Canada (les premiers s’offrent leur plus minable récolte depuis 1934, le second depuis 1968), pluies torrentielles en Europe. Et en France, le gel printanier et l’été maussade se sont chargés d’amortir bien des rêves dans les alcools de fruits et de vin.

 

Pénuries de bouteilles, de cannettes, d’étuis, d’étiquettes…

Par ailleurs, les pénuries de matières sèches s’installent durablement depuis des mois, avec pour conséquence une hausse des coûts estimés à 6%. Grosses tensions sur le papier (pour les étiquettes) et le carton (les emballages), que certains producteurs en profitent pour abandonner : Compass Box a renoncé aux étuis, Signatory Vintage, à court de tubes pour emballer ses bouteilles, fait une croix dessus en cette fin d’année… « C’est tendu, reconnaît Thierry Bénitah, PDG de La Maison du Whisky, mais on s’adapte. On ne fait que cela depuis deux ans, avec le covid. Mais aujourd’hui, il est vrai qu’on se pose clairement la question de faire produire nos étuis en Europe plutôt qu’en Chine. »

Au fond, la période est propice pour forcer des mesures écologiques que l’amateur de spiritueux appelle de tous ses vœux… mais refuse de voir appliquées sur ses quilles préférées. Le suremballage a beau être une plaie – surtout pour les produits ultra-premium où les multiples matériaux imbriqués (carton plastifié, aimants, bois…) rendent le recyclage impossible –, l’amateur refuse jusqu’à présent d’acheter une bouteille nue, dénuée d’étui, de tube ou de coffret.

Pénuries d’acier, dont les prix ont plus que doublé : c’est la bière en cannettes qui en souffre le plus, mais les nouvelles distilleries qui attendent leur cuverie ont tout intérêt à acheter d’occasion. Pénuries de verre également. Les fours qui tournaient au ralenti vont mettre des mois à retrouver leur rythme, alors que la demande ne cesse par ailleurs d’augmenter (certains sodas lâchant en partie le plastique).

Grosperrin, qui enflaconne habituellement son cognac Cépages dans l’iconique bouteille noire de Velier, a dû en faire provisoirement son deuil pour se rabattre sur un contenant moins statutaire. Le génial Guillaume Ferroni, faute de pouvoir couler sa merveille de pastis Château des Creissauds dans son élégant flacon habituel, a raclé les fonds de tiroir en récupérant des quilles dépareillées barrées d’un énorme sticker rouge « La crise des bouteilles ! » : alerte futurs collectors.

Mais ce sont les problèmes de transport qui déstabilisent plus encore le secteur. Les ports orientaux, restés longtemps bloqués pour raisons sanitaires, se sont engorgés, laissant les retards s’accumuler. Dénicher des containers pour traverser deux océans est une épreuve qui relègue la traversée du Mordor en tongs à la promenade de santé. « Les transports intra-Europe restent à peu près stables, mais le prix d’un containers venu d’Asie est passé de 1.500€ avant la pandémie à 17.000€, et on se bat pour en trouver, on les bourre autant que possible, s’alarme Thierry Bénitah, importateur européen des whiskies Nikka notamment. Même avec la baisse du yen, l’effet des frais de port sur les spiritueux vendus moins de 50€ est catastrophique. On n’importe plus de bières japonaises : le prix de transport excède désormais celui du produit. Ce qui nous porte depuis deux ans, c’est la force de notre logistique. Paradoxalement, avec le développement du e-commerce il faut être capable de livrer en 2 heures un produit qu’on met 3 mois à faire venir ! »

 

La gueule de bois du Brexit

Au Royaume Uni, la paperasserie post-Brexit accentue la gueule de bois, mais – tout comme aux Etats-Unis, c’est surtout la pénurie de main d’œuvre dans les transports routiers qui se fait ressentir, depuis que les travailleurs d’Europe de l’Est qui embauchaient massivement au volant sont rentés au bercail, amicalement incités à plier bagage par Boris Johnson. « Les commandes s’accumulent devant nos entrepôts, se désole Juliette Buchan à la distillerie GlenAllachie. Une commande pour la France, qui prenait une semaine en 2019, peut aujourd’hui demander deux à trois semaines, entre le manque de camions, de chauffeurs, les nouvelles procédures de dédouanements… »

« Il n’y aura bientôt plus de verre, plus de whisky, donc pas de cadeaux à Noël, le réveillon va être compliqué dans les familles, le taux de divorce va monter en flèche… », ironise Pierre Tissandier chez The Whisky Lodge, un important caviste embouteilleur indépendant lyonnais, anticipant la chaîne des catastrophes. Et on boira (de l’eau ?) pour oublier en séchant nos larmes. Un conseil avant la fin de l’année : ne tardez pas trop pour chiner vos emplettes spiritueuses. Et si pour une fois on sacrifie en chœur à Dry January, au moins on saura pourquoi.

 

Par Christine Lambert

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