Soulignons avant tout que Glen Grant a exercé une influence majeure en jouant un rôle historiquement pertinent dans l’ascendant culturel qu’a progressivement pris le single malt et qui présidé à sa reconnaissance. C’était dans les années 1950 l’un des principaux malts exportés vers le marché italien, à une époque où les single malts étaient aussi ignorés que rares chez les cavistes du continent européen. Glen Grant fut à l’origine très apprécié en Italie dans des expressions jeunes, âgées de 5 et 8 ans, par exemple, car il convenait au goût italien habitué à la grappa. Il devint rapidement disponible sous forme d’expressions âgées de 12 ans et plus. Au cours des années 1960, il jouissait d’une popularité telle qu’on le tenait en bien plus haute estime que des distilleries comme Macallan. En ce sens, Glen Grant est l’un des whiskies qui furent à l’origine de la légitimation du single malt en Europe. Il fut longtemps considéré comme l’un des plus grands whiskies d’Écosse par les premiers amateurs et collectionneurs de whisky de malt.
Bruyère de Scottia
Le vaste assortiment d’embouteillages présentant une grande diversité d’âges et de titres alcoométriques offre à l’amateur passionné l’occasion de se faire une idée olfactive très complète du développement du caractère de la distillerie au fil des décennies. Glen Grant est en effet un whisky marqué par une subtile évolution au cours des années. Les embouteillages datant des années 1930 ont un caractère incontestablement plus herbacé, tourbé et cireux que les distillats plus expressément fruités des années 1950, 1960 et du début des années 1970.
Le choix d’embouteillages Glen Grant spécifiques se révèle difficile, parce qu’ils ont été dans leur grande majorité commercialisés avec la célèbre étiquette Highland portant l’accroche “From the heath covered mountains of Scotia I come” [“Issu des montagnes couvertes de bruyère de Scotia”]. Celle-ci représente toutefois l’un des attributs les plus intéressants de Glen Grant aux yeux du collectionneur, le jeu consistant à dénicher les embouteillages les plus obscurs portants précisément cette étiquette. Comme par exemple le Glen Grant 13 ans, embouteillé par H. R. Ingram d’Aberdeen dans les années 1960 et titrant 107 proof (61,1 %). Un flacon de cette expression a trouvé acquéreur sur le site de vente Whisky Online Auctions en juin 2015 pour 420 livres sterling, et plus récemment chez Bonhams à Édimbourg pour un peu plus de 1 000 livres sterling – ce qui atteste de la naissance depuis quelques années d’un engouement certain pour ces raretés anciennes.
Autre exemple singulier, les embouteillages réalisés par James Mutch. James Mutch est un ancien embouteilleur basé à Elgin qui a également commercialisé sous licence différents embouteillages Macallan, entre autres. La période d’activité de l’entreprise s’étant étendue principalement des années 1940 aux années 1950, il ne subsiste qu’un très petit nombre de ses flacons. Bonhams a vendu en 2009 deux beaux spécimens de Glen Grant mis en bouteille par James Mutch au prix dérisoire de 60 livres sterling, probablement parce qu’ils étaient dépourvus de leur film plastique de sécurité. Si les mêmes flacons devaient réapparaître aujourd’hui en salle des ventes, ils atteindraient très probablement un prix à quatre chiffres.
Un choix immense
Quant aux autres embouteillages Glen Grant indépendants, le choix est immense. Des exemples remarquables ont été mis en bouteilles par Samaroli, Duncan Taylor, Cadenhead et Signatory. Mais les plus méconnus et recherchés sont probablement ceux qui proviennent des archives de la Scotch Malt Whisky Society. Des flacons comme SMWS 9.2, par exemple, un Glen Grant de 1963 embouteillé en 1986 et titrant 59,4 %, sont extrêmement rares et désormais avidement convoités tant par les buveurs que par les collectionneurs. Un autre embouteillage indépendant notable, qui atteste de l’ancienneté de la disponibilité et de la diffusion de cette marque de distillerie sur les marchés, c’est le 25 ans mis en bouteille à la fin du XIXe siècle par la maison new-yorkaise Morten & Co. En 2013, ce flacon a été adjugé chez Bonhams à New York au prix de 2 300 livres sterling. S’il devait figurer aujourd’hui dans une vente, son prix serait certainement plus proche des cinq chiffres.
Toutefois, ce sont Gordon & MacPhail qui demeurent incontestablement les rois de Glen Grant. Ils l’embouteillent sous licence presque depuis les origines de leur maison, à savoir dans les années 1890. Et les Glen Grant titrant 100 proof commercialisés dans les années 1950 par Gordon & MacPhail ont figuré parmi les tout premiers single malts commercialisés au monde à afficher une teneur aussi élevée. Il n’en subsiste plus que de très rares exemples qui, lorsqu’ils font surface en salle des ventes, suscitent une demande féroce. Comme l’illustre un récent Glen Grant 15 ans 100 proof, muni d’une rare capsule “securo”, mis en bouteille au début des années 1960 par Gordon & MacPhail. Proposé chez McTears en novembre 2017, il a été enlevé au prix à vous embuer les yeux de 2 800 livres sterling, ce qui démontre encore, si besoin était, l’intensité de la demande pour ces magnifiques et historiques flacons âgés.