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La salle des alambics, c’est le cœur battant de la distillerie, le lieu où opère la magie. Lorsqu’on visite une distillerie, qu’elle soit de rhum aux Caraïbes, de tequila au Mexique, ou de whisky n’importe où dans le monde, de Ballindalloch à Ailsa Bay, de Taïwan à la Tasmanie, la probabilité est grande de lire sur ses alambics en cuivre étincelants l’inscription “Forsyth’s of Rothes”.

Le village de Rothes, dans le Speyside, compte à lui seul trois distilleries, mais il abrite aussi les locaux de la firme où sont fabriqués nombre d’alambics utilisés dans le monde. Ils sont réalisés par des artisans dévoués travaillant pour cette entreprise familiale qui, ayant connu une croissance remarquable au cours des vingt dernières années, s’est métamorphosée.

Richard Forsyth, le P.-D.G., dirige l’entreprise avec son fils, Richard Forsyth junior, qui en est le directeur général. «Mon grand-père Alexandre a débuté dans le métier comme apprenti chaudronnier chez Robert Willison dans les années 1890», explique Richard Forsyth senior. Devenu contremaître, il rachète l’entreprise après le départ de Willison à la retraite en 1933, puis fonde Forsyth & Son.

Le fils en question, Ernest, surnommé Toot par les gens de Rothes, reprend après ses années de service pendant la guerre la direction de la compagnie. Il y introduit, pour l’assemblage des plaques de cuivre des alambics, des techniques de soudage qui remplacent les techniques séculaires de rivetage.

À la fin des années 1960, les frères Richard et William entrent dans l’entreprise. Le premier en devient le directeur au milieu des années 1970. «J’ai commencé à travailler dans l’atelier de mon père à l’âge de 13 ou 14 ans, évoque-t-il, et comme j’avais décidé que c’était ce que je voulais faire, je suis donc depuis plus de cinquante ans dans le métier !»

«Les années 1970 et le début des années 1980 ont été une période économique difficile, poursuit-il. C’était l’époque de la “semaine des trois jours” et de nombreux conflits sociaux. Comme les distilleries écossaises fermaient les unes après les autres, nous avons opté pour la diversification en prenant des participations dans des papeteries et fondé une importante agence d’ingénierie et de dessin industriel, mais nous avons aussi construit trois distilleries en Corée au cours des années 1980.»

Un carnet de commandes archi-plein

«Avec ce que nous avions mis sur pied, nous étions idéalement placés pour pénétrer le secteur pétrolier et gazier dans les années 1990. Vers 2005-2006, nos affaires dans le pétrole, le gaz et le whisky marchaient si bien que nous avons pu nous développer considérablement. C’est ainsi que nous avons acquis à Buckie Harbour un site industriel pour y installer toutes nos activités en relation avec l’industrie pétrolière et gazière.»

À Rothes même, Forsyth rachète en 2010 à Chivas Brothers la distillerie Caperdonich qui jouxtait ses propres locaux et qui avait été mise en sommeil, puis entreprend de la démolir. «Nous en avons revendu les alambics et la cuve d’empâtage, ajoute Richard Forsyth, mais le coût de la démolition s’élevait à 300 000 livres sterling ! Nous avons donc conservé les deux chais industriels à système de stockage palettisé que nous louons à bail aujourd’hui, et utilisé le reste du site pour développer nos activités.»

«Il y a quelques années, après avoir conclu de très importants contrats dans le gaz et le pétrole, poursuit-il, la part de notre chiffre d’affaires dans ce secteur représentait environ 70 % de nos activités, et 30 % pour la distillation. Aujourd’hui, ce serait plutôt l’inverse, sachant que nous avons également cédé toutes nos participations dans l’industrie papetière. Depuis ces sept ou huit dernières années, nos activités dans le whisky ont triplé, voire quadruplé, pas seulement en Écosse, mais partout dans le monde.»

«Notre carnet de commandes est archi-plein, c’est pourquoi je travaille encore beaucoup, poursuit Richard Forsyth, qui précise qu’il n’a pas eu le temps de prendre un jour de congé pour fêter son 65e anniversaire. Je suis très impliqué dans le contrat Macallan, je ne pourrai donc pas partir à la retraite avant le milieu de l’année 2018, au moins, en tout cas pas avant que ce projet soit mené à bien.»

Le “contrat Macallan” en question consiste en la livraison d’une toute nouvelle distillerie Macallan jouxtant des installations existantes, Forsyth’s étant le maître d’œuvre pour l’aspect “transformation” du projet. «Nous avons la responsabilité de tout, fait remarquer Forsyth. C’est un contrat de 130 millions de livres sterling, le plus important des chantiers de construction jamais mis en œuvre en Écosse dans l’industrie du whisky. Nous fabriquons pour Macallan trente-six alambics, qui sont tous des répliques de ceux déjà en place. Mais en plus de Macallan, nous participons également aux programmes d’expansion majeurs de Glenfiddich et de The Glenlivet. Pour cette dernière distillerie, nous fabriquons quatorze alambics.»

De l’Irlande au Brésil

L’Irlande représente également depuis quelque temps un intéressant terrain de chasse pour Forsyth’s, qui a équipé plusieurs nouvelles distilleries comme Great Northern à Dundalk, Walsh à Carlow et Waterford dans le port éponyme, au sud-est de l’île. Mais le plus important de ces projets irlandais est celui réalisé pour Irish Distillers. «Nous venons de réaliser trois nouveaux alambics pour la Garden Stillhouse [pavillon des alambics] de la distillerie Midleton, dans le comté de Cork, et trois autres sont en cours de fabrication, précise Richard Forsyth. Ce sont les plus grands pot stills au monde. Ils ont été assemblés dans notre chantier de Buckie Harbour, puis transportés par bateau jusqu’à Cork.»

Tout en précisant que son entreprise a aussi récemment livré quatre-vingt-un alambics destinés à la production de tequila au Mexique et que les distilleries de rhum des Caraïbes représentent également une lucrative part de marché, Richard Forsyth ajoute : «Nous avons reconstruit la distillerie James Sedgwick à Wellington, en Nouvelle-Zélande, et travaillé en Russie et au Brésil, puis construit cinq distilleries en Suède et deux en Finlande. Et nous fabriquons des alambics à whisky de malt pour la Chine, pour Taïwan et pour la Thaïlande. Mais si le marché se développe en Extrême-Orient depuis quelques années, je ne peux que constater qu’il marque le pas en Écosse.»

«Nous n’insistons pas trop pour travailler aux États-Unis, étant donné notre volume d’activités déjà très important, ajoute-t-il, mais nous y avons quand même construit Balcones, au Texas, et nous équipons chaque année deux ou trois distilleries artisanales. Sans oublier qu’il y a vingt ans, nous avons fabriqué les trois alambics pot still de Woodford Reserve à l’époque de la remise en service de cette distillerie.»

Forsyth’s est installé dans ses locaux actuels depuis 1974. Outre la fabrication d’alambics et des équipements associés, l’entreprise consacre une bonne part de ses activités aux travaux de maintenance des distilleries existantes et au remplacement des pièces.

Une cinquantaine d’employés travaille pour la branche whisky de l’entreprise : «Sachant que le métier de chaudronnier requiert quatre années d’apprentissage, calcule Richard Forsyth, nos effectifs comptent de 10 à 15 pour cent d’apprentis.»

La matière première que travaillent les chaudronniers de Forsyth’s, ce sont des tôles de cuivre de grandes dimensions livrées par les fonderies qui traitent le minerai de cuivre extrait des mines. Les continents nord et sud américains sont les plus gros producteurs de cuivre au monde. Utilisé depuis 8 000 av. J.-C., il a été fondu pour la première fois vers 5 000 av. J.-C. Il se prête idéalement à la fabrication de récipients comme les alambics à whisky, car il se travaille relativement facilement et offre une excellente conductivité thermique.

La renaissance du Station Hotel

Le martelage du cuivre reste toutefois physiquement assez exigeant, surtout le travail sur les plaques d’épaulement des grands alambics.

«Nos alambics pot still sont encore tous martelés à la main, mais la finition se fait aujourd’hui avec des marteaux mécaniques. Nous disposons de six marteaux de “planage”. Le cuivre est un métal très malléable qui, s’il est chauffé, reste ductile après refroidissement. Le martelage le durcit et lui donne une “peau”. Les travaux de soudage sont réalisés selon les procédés traditionnels, mais la découpe manuelle des tôles, qui était anciennement la norme, est désormais remplacée par la découpe au jet d’eau.»

Les rares occasions où il ne travaille pas pour la chaudronnerie, Richard Forsyth s’adonne à sa passion du golf ainsi qu’à sa nouvelle activité secondaire : hôtelier. Il a en effet acquis et entièrement rénové le Station Hotel, l’ancien hôtel de la gare situé dans la rue principale de Rothes, depuis longtemps fermé.

«L’établissement était à l’époque très réputé dans les milieux de la pêche, précise-t-il. Je garde le souvenir des Rolls-Royce garées les unes derrière les autres le long du trottoir de l’hôtel quand j’étais gamin. Mais la raison l’emporte sur le sentiment : avec l’hôtel, nous savons désormais où aller nous taper la cloche après une bonne partie de golf !» Sans parler du fait que le Station Hotel, outre sa remarquable carte des whiskies, est sans doute aujourd’hui la meilleure table du Speyside.

À la question de savoir avec quel breuvage il accompagne ses repas d’après-golf, Richard Forsyth répond : «Je deviens trop vieux pour boire du whisky de malt en quantité. Depuis quelque temps, j’opte plutôt pour le vin, et en particulier pour le sauvignon blanc. Pour ce qui est du whisky, l’un de mes préférés reste Aberlour 10 ans, et de façon générale, j’apprécie les Speyside les plus lourds comme Macallan et Glenfarclas.»

Richard Forsyth envisage pour l’avenir de faire son “grand tour”, de rendre visite à toutes les distilleries auxquelles son entreprise a livré des alambics. Compte tenu du caractère très international de ses activités, il lui faudra préparer au plus tôt ce voyage qui sera certainement très long. Mais avant cela, il y a les quelques petits détails du contrat Macallan à régler, ce qui devrait le mener jusqu’au milieu de l’année 2018, sans parler de toutes ces autres distilleries qui, elles aussi, réclament leurs alambics en cuivre fabriqués dans une arrière-cour de la grand-rue d’un petit village du Speyside.

Par Gavin D. Smith

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