Les calvados Drouin signent une nouvelle collaboration, avec la distillerie suédoise Mackmyra, qui a affiné son édition limitée Äppelblom dans des fûts de Grand Âge de la maison normande. L’occasion d’aborder la destinée des fûts de réemploi.
Chez Drouin on a toujours aimé travailler sur les vieillissements. Mon grand-père en son temps se débrouillait pour récupérer les fûts de porto et de xérès qui étaient embouteillés au Havre.
La plupart de nos fûts, et ceux que nous revendons, sont d’anciens tonneaux de bordeaux de 225 l en chêne français. Une fois débarrassés par le vin de leur excès de tanins, ils sont grattés et retoastés en tonnellerie, avant de pouvoir accueillir le calvados sans en masquer le fruit. Les fûts partis chez Mackmyra avaient une quinzaine d’années.
Des distilleries écossaises comme Arran ou Springbank ont utilisé nos fûts – la Scotch Whisky Association n’aime pas beaucoup cela, pourtant. Dalmore également, pour le Constellation 1970, par exemple. Kilchoman nous en a acheté quelques-uns, ils sont encore en vieillissement. On a fait des échanges avec Mars, au Japon, avec Savanna, le rhum réunionnais – cela nous a donné de superbes éditions limitées. J’aurais adoré travailler avec Kavalan, mais ils nous réclamaient 40 fûts, je ne pouvais pas déséquilibrer ma cave en me séparant d’une telle quantité d’un coup. J’ai expédié 2 fûts au Mexique pour une tequila. Le seul spiritueux qui ne nous sollicite pas, c’est le cognac, alors que nous, nous utilisons beaucoup de leurs fûts pour vieillir nos eaux-de-vie.
Nous sommes de plus en plus sollicités, mais en réalité nous revendons très peu de fûts. D’abord parce que nos stocks sont limités, nous sommes une petite maison. Et puis, nous avons beaucoup de calvados très âgés (jusqu’à 70 ans d’âge) en vieillissement lent dans nos chais, ils dorment dans de vieux fûts peu actifs, des barriques d’une cinquantaine d’années parfois. Je ne peux pas me débarrasser de ce type de tonneaux.
Je ne revends qu’aux distilleries qui m’intéressent, dont j’apprécie la démarche et l’état d’esprit. Mackmyra, j’adore leur créativité, leur côté geek, ils ne se prennent pas au sérieux, ils osent. J’ai besoin de travailler avec des maisons qui nous ressemblent. Bon, Dalmore est l’exception. Mais quand Richard Paterson en personne vient vous demander 10 fûts de vieux millésimes, on ne dit pas non. Surtout quand il vous explique son projet : mettre des whiskies dans des fûts qui partagent le même millésime (1963, 1970…). Et, entre nous, ça fait un pincement au cœur quand on se sépare de ce genre de fûts. Dans un millésime 1970, 75 % du contenu s’est évaporé, ce qui reste dans les douelles, c’est un concentré hyper aromatique, d’une complexité inouïe, des fruits secs, confits, des épices, du cidre bouilli… J’étais un peu déçu que Dalmore ne puisse pas nous nommer sur l’étiquette – la SWA, toujours…
J’aime bien travailler avec les distilleries de whisky. Le fût de calvados donne vraiment une empreinte particulière aux single malts. Des notes délicates de pommes (sinon, c’est qu’on a raté quelque chose !), d’amande, d’agrumes parfois.
J’ai besoin qu’on m’explique le projet. Qu’on me dise ce qu’on va faire avec mes fûts. C’est pour cela que je refuse de vendre quoi que ce soit aux négociants : on n’a aucun contrôle, on ne sait pas où vont aller les fûts. La seule personne qui ne m’ait pas dit ce qu’il allait faire avec mes barriques, c’est Lucas Gargano [le patron des rhums Velier, ndlr]. Mais je ne lui ai même pas posé la question : avec Luca, ça ne peut pas être à côté. Il m’a échangé des barriques de calvados contre des fûts de Hampden qui sont en train de faire des merveilles dans nos chais.
Pour une petite maison familiale comme nous, c’est toujours une immense marque de reconnaissance quand une belle distillerie vient nous demander des fûts. C’est une autre façon de récompenser notre travail.
Par Christine Lambert
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