Laphroaig est le single malt d’Islay le plus vendu dans le monde (3,7 millions de bouteilles en 2017). Il occupe le septième rang des meilleures ventes de single malts d’Écosse. S’agissant de son attractivité pour les collectionneurs, le cabinet de conseil en investissement Rare Whisky 101 le classe au troisième rang après Bowmore et Ardbeg en termes de part de marché.
Le 30 ans élevé dans 123 butts de xérès, souvent de premier remplissage, embouteillé en 2000 et titrant 43% est une expression classique particulièrement admirable pour ses qualités gustatives, et par conséquent très recherchée. Distillée dans les années 1970, elle est cotée 1 830 euros environ, si l’on parvient à en dénicher un flacon. Le 30 ans lancé en 2016, élevé en barrels de bourbon et embouteillé à la force du fût (53%) vaut approximativement la moitié de ce prix. Le prix augmente avec l’âge du breuvage, c’est pourquoi les 3 300 flacons de Laphroaig âgé de 40 ans (42,4%), datant de 1960 et commercialisés en 2001, atteignent aujourd’hui sans surprise une cote bien supérieure à 2 000 euros. Cette expression est le Laphroaig le plus âgé embouteillé à ce jour, mais les 300 flacons du même breuvage vendus exclusivement par le détaillant britannique Oddbins antérieurement à la commercialisation du lot principal sont encore plus rares. Si vous localisez l’une de ces pépites quasi insaisissables, attendez-vous à débourser au moins 6 000 euros.
Les fûts du prince Charles
Plus insaisissables encore : les embouteillages issus des fûts du prince Charles. Le 29 juin 1994, S.A.R. le prince Charles s’est rendu en visite officielle à Laphroaig où on lui a offert à cette occasion deux fûts qu’il offrira à des œuvres de bienfaisance. Le premier, un millésime 1978 mis en bouteille à l’âge de 15 ans, a été vendu aux enchères au bénéfice du Cancer Relief Macmillan Fund. Le second fût, datant de 1983, a séjourné cinq années supplémentaires en chai pour coïncider avec le 50e anniversaire du prince. Ce 15 ans a été donné en 1999 à l’hôpital Erskine pour anciens combattants de Dumbarton, en Écosse, les bouteilles étant commercialisées pour la plupart par le caviste Loch Fyne Whiskies. Toutefois, pour les collectionneurs, parmi les 270 bouteilles de l’hôpital d’Erskine, le saint Graal, ce sont 15 flacons signés de la main du prince, un simple “Charles”, qui ont atteint 33 200 euros en salle des ventes.
Bien plus récemment, en août dernier, sur le site de vente en ligne Whisky Auctioneer, Laphroaig a de nouveau fait sensation avec une bouteille de Sherry Wood Samaroli 1967. Pulvérisant le record britannique, elle a été adjugée à un enchérisseur allemand pour la somme de 69 827 euros. Un porte-parole de la maison de ventes a précisé que le «prix d’adjudication de 61 000 livres sterling est supérieur de 5 700 livres sterling à celui obtenu en 2014 par un Laphroaig Samaroli 1967 (selon les analystes de Rare Whisky 101), ce qui représente une augmentation annuelle supérieure à 240 %.» L’une des seules 720 bouteilles commercialisées de Laphroaig Samaroli 1967 âgé de 15 ans a été également signée de la main de Silvano Samaroli, légendaire importateur et embouteilleur italien, ce qui fait de ce flacon, selon ce même porte-parole, «un whisky de collection véritablement unique».
Outre ce flacon de 1967, un certain nombre d’embouteillages millésimés datant de 1970 ont été importés en Italie par Samaroli dans les années 1980. Un embouteillage single cask (fût n°4367) de 1984, particulièrement attractif, est évalué à quelque 9 000 euros. Sinon, avec 6 000 euros, vous pourrez acquérir un Laphroaig 1980 âgé de 27 ans, élaboré avec seulement cinq fûts de xérès oloroso. Un Laphroaig 1974 âgé de 21 ans élevé en fût de xérès et embouteillé en 2005 pour La Maison du Whisky est disponible pour 12 000 euros chez le caviste parisien.
Music and malt
Certains collectionneurs ayant un penchant pour les single malts d’Islay se spécialisent dans les éditions limitées commercialisées chaque année au mois de mai, à l’occasion du festival Music and Malt. Le plus ancien Laphroaig Feis Ile date de 2004 : c’est un 17 ans distillé en 1987. Un 13 ans datant de 1992 a été proposé l’année suivante. Ces deux expressions peuvent espérer atteindre 1 500 euros en salle des ventes. Des versions plus récentes peuvent offrir aux collectionneurs un point d’entrée relativement plus abordable. Par exemple, la proposition de cette année, Laphroaig Cairdeas Fino Cask Finish, est disponible à partir de 125 euros. Son équivalent 2017 à partir de 160 euros.
Cairdeas signifie « amitié » en gaélique : un embouteillage Cairdeas est commercialisé tous les ans depuis 2008, autant d’expressions qui affichent une grande diversité de caractères. La première, un 30 ans, atteint aujourd’hui à peu près 3 150 euros. L’une des expressions les plus intéressantes de la série est l’édition 2015 célébrant le 200e anniversaire de la distillerie. Cette 200th Anniversary Edition a été créée par John Campbell, le maître distillateur de Laphroaig, exclusivement avec une orge maltée dans les aires de maltage de la distillerie et distillée au moyen des deux alambics les plus petits et les plus anciens de la distillerie. Elle a été élevée en ex-fûts de bourbon pendant une douzaine d’années avant d’être embouteillée à 51,5%. Compter 285 euros le flacon.
Un 15 ans également commercialisé pour le même anniversaire vaut dans les 170 euros, mais il vous en coûtera probablement dix fois autant pour acquérir un autre embouteillage anniversaire, un cask strength 32 ans élevé en fûts de xérès oloroso. L’imitation est, dit-on, la plus sincère des flatteries : en 2015, Rare Whisky 101 acquiert aux enchères une bouteille présentée comme étant un Laphroaig 1903, le plus ancien existant, et dont la valeur potentielle pourrait excéder 100 000 euros. Malgré le packaging d’époque apparemment authentique du flacon, celui-ci, une fois ouvert, a montré une absence suspecte des caractéristiques phénoliques étroitement associées à Laphroaig, et le résultat de la datation au carbone a révélé qu’il y a une probabilité de 95,4 % pour que ce breuvage ‒ un blend écossais, plus précisément ‒ ait été distillé après 1956, voire très vraisemblablement bien plus récemment.
Comme toujours en matière de collection, il convient de se montrer vigilant : caveat emptor !
Par Gavin D. Smith
Faits et chiffres
1815
Fondation de la distillerie sur la rive méridionale d’Islay par les frères Alexander et Donald Johnston. L’établissement demeure la propriété de la famille jusqu’en 1954, date du décès du dernier descendant des Johnson, Ian Hunter, qui en avait été le directeur depuis 1927.
BESSIE
Elizabeth “Bessie” Williamson, l’ancienne secrétaire personnelle d’Ian Hunter, lui a succédé au poste de directeur général de D Johnston & Co Ltd. C’est l’une des toutes premières femmes à diriger officiellement une distillerie de whisky écossais.
20 %
Laphroaig exploite toujours quatre aires de maltage traditionnelles, qui assurent environ 20 % des besoins de la distillerie en malt. Le cahier des charges de ce malt tourbé prévoit un taux de composés phénoliques compris entre 40 et 60 ppm. Le reste du malt provient des malteries Port Ellen voisines : il est tourbé à 35-45 ppm.
SEPT
La distillerie est équipée de trois wash stills [alambics de première distillation] et de quatre spirit stills [alambic de seconde distillation]. Le cinquième fut rajouté en 1967 pour renforcer les capacités de production, suivi cinq ans plus tard par les deux derniers alambics. La distillerie s’enorgueillit de pratiquer la plus longue coulée de tête de distillation d’Écosse, afin d’éliminer les esters suaves qui s’écoulent en premier du spirit still et ne font pas partie du profil aromatique de Laphroaig.
AMOUR/HAINE
Aucun autre whisky ne suscite d’opinions aussi divergentes que Laphroaig. «On l’aime ou on le déteste, mais impossible de l’ignorer», comme la distillerie le publie sur Twitter. On l’a comparé à un hôpital en feu : à l’époque de la Prohibition, Laphroaig était commercialisé aux États-Unis à des fins médicales, le ministre de la santé américain ayant refusé de croire qu’il était possible de le consommer pour le plaisir !
700 000
L’enthousiasme des amateurs est canalisé par l’organisation Friends of Laphroaig qui compte aujourd’hui près de 700 000 membres représentant quelque 190 pays.
QUARTAUT
Laphroaig est l’une des distilleries où la technique du vieillissement en quartauts (fûts de 50 litres environ) a été mise au point par l’ancien maître assembleur Robert Hicks qui a perfectionné l’art d’une maturation accéléré dans ce type de tonneau. Laphroaig Quarter Cask a été lancé en 2004.
1994
Cette année-là, le prince Charles a décerné à Laphroaig un Royal Warrant [brevet de fournisseur officiel de la famille royale] très convoité. Un embouteillage spécial Royal Warrant âgé de 10 ans a été lancé pour commémorer cette distinction.
12
Depuis 1994, la distillerie produit des embouteillages à façon pour la résidence familiale du prince de Galles, Highgrove House, dans le Gloucestershire. Les expressions de 12 ans portant l’étiquette Highgrove sont des single barrels [issues d’un fût unique] que le visiteur peut se procurer à la boutique Highgrove Shop du domaine princier, ainsi qu’en ligne. Chaque flacon est numéroté.
3,3 MILLIONS
La distillerie Laphroaig fonctionne actuellement à pleine capacité : elle produit environ 3,3 millions de litres d’eau-de-vie par an. Un projet d’agrandissement de la distillerie est en cours d’étude, pour augmenter dans un avenir proche sa production de près de 100 %.