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L’armagnac, la plus ancienne de nos eaux-de-vie françaises, peut revendiquer une histoire de plus de 700 ans. Le cognac et le calvados sont eux aussi ancrés dans notre culture depuis plusieurs siècles. Traditionnels, nos spiritueux hexagonaux ancestraux n’en sont pas moins modernes. Ils le démontrent aujourd’hui encore en séduisant de nouveaux amateurs, notamment les jeunes consommateurs.

Has been les spiritueux traditionnels français ? Détrompez-vous ! Longtemps snobés par les amateurs hexagonaux obnubilés par les whiskies et les rhums, l’armagnac, le cognac et le calvados connaissent aujourd’hui un véritable regain d’intérêt. C’est d’autant plus vrai qu’ils séduisent les nouvelles générations, des amateurs bien plus curieux et ouverts que leurs aînés. Les chiffres parlent d’eux-mêmes. L’an passé, près de 5 millions de bouteilles de calvados ont été commercialisées par les 300 acteurs de l’appellation. Si les ventes de l’eau-de-vie normande à l’export se portent bien, avec une progression de 1,4 %, c’est sur le marché français qu’elle réalise sa plus belle performance avec une croissance record de 30 %. Tous les voyants sont également au vert du côté de Cognac. Avec une hausse de ses ventes de 16,2 % en volume et 30,9 % en valeur en 2021, l’eau-de-vie charentaise a écoulé 223,2 millions de bouteilles pour un chiffre d’affaires de 3,6 milliards d’euros, en hausse de 1,6 % par rapport à 2019, année de référence avant la crise sanitaire. S’il s’est toujours imposé comme le champion de l’export, où il réalise l’essentiel de ses ventes, désormais, le cognac flirte aussi avec le succès sur ses terres. Pour preuve, en France, il est en progression de 23,4 % en volume. De son côté, l’armagnac a, lui aussi, le vent en poupe. Les sept premiers mois de l’année l’illustrent parfaitement avec une croissance de ses ventes de près de 30 % en volume et 35 % en valeur. Un succès porté par l’export, mais aussi par les ventes sur le marché français. D’ailleurs, même si les volumes restent modestes – tout comme le cognac (+ 35 %) – l’armagnac (+ 30,6 %) est la catégorie qui a enregistré l’une des plus belles progressions dans les bars et les restaurants en 2021. Et tous les producteurs, qu’ils fassent chauffer leurs alambics en Gascogne, en Charente ou en Normandie, sont confiants en l’avenir, convaincus qu’il ne s’agit pas là d’une passade, mais bel et bien d’une tendance de fond. Mais comment expliquer ce retour de hype des spiritueux français traditionnels ?

La force du “made in France”

Cela ne vous aura pas échappé, ces dernières années, le “made in France” a la cote. Face aux enjeux climatiques et écologiques, nous sommes entrés dans l’ère du locavore et des circuits courts. Une tendance à laquelle n’échappent évidemment pas les spiritueux. «La jeune génération a parfaitement conscience des enjeux écologiques : elle est attachée aux circuits courts et privilégie le local, constate Philippe-Alexandre Bernatchez, directeur marketing de La Maison & Velier. Cela bénéficie forcément aux spiritueux français, d’autant qu’il y a de vrais trésors dans le cognac, l’armagnac et le calvados.» «La bonne dynamique que connaît actuellement le calvados a été amplifiée par la crise sanitaire, renchérit Philippe Terlier, directeur de la distillerie Busnel. Il y a un retour aux valeurs essentielles et les Français, qui privilégient une consommation qualitative, se tournent vers des spiritueux qui ont un ancrage régional, une histoire, un savoir-faire.» De son côté, Luc Merlet, directeur commercial et marketing des cognacs Merlet, affirme : «Pendant longtemps, ce qui était cool, c’étaient les spiritueux importés. Avant la crise sanitaire, les spiritueux français revenaient déjà à la mode. Le Covid a eu un effet accélérateur.»

L’attrait du “made in France” n’explique bien sûr pas à lui seul le retour en grâce des spiritueux traditionnels français. «L’histoire du calvados et celle de notre maison sont de véritables atouts, affirme Guillaume Drouin, à la tête des calvados Christian Drouin. Tout comme l’authenticité de nos eaux-de-vie, c’est extrêmement rassurant pour les consommateurs.» Un point de vue partagé par Jérôme Delord, qui dirige avec son frère Sylvain la maison d’armagnac Delord : «Les Français sont rassurés par le “made in France”, l’histoire de l’appellation et le fait que nous sommes une maison familiale.» «De plus en plus de jeunes consommateurs s’intéressent au cognac, observe de son côté Olivier Jadeau, directeur commercial de Bache Gabrielsen. Je constate aussi que nous recrutons des consommateurs d’autres catégories, intéressés par l’histoire, la provenance locale et le rapport qualité-prix des cognacs en général et des nôtres en particulier.»

Si le terroir et l’histoire souvent familiale jouent en faveur de nos producteurs, l’âge et le prix pèsent également dans la balance, d’autant que les tarifs des spiritueux ont tendance à flamber. « Les amateurs redécouvrent le calvados, parfois de très vieux embouteillages incroyables qui restent à des prix accessibles par rapport à des whiskies du même âge », précise Guillaume Drouin. C’est d’ailleurs ce qui a encouragé La Maison du Whisky à relancer cet automne sa gamme Through The Grapevine pour laquelle elle a réalisé un gros travail de sourcing et déniché de très très vieux cognacs et armagnacs. «Le whisky et le rhum ne sont pas en mesure de proposer des cuvées aussi âgées, et encore moins dans les mêmes budgets, souligne Philippe-Alexandre Bernatchez. Et ce type d’embouteillages permet de toucher de nouveaux consommateurs.»

On l’a fait très tôt avec l’espace VIP,  puis avec la Rhum Gallery et la Cocktail Street par la suite. C’est cette constellation de catégories qui fait du Whisky Live Paris un évènement en constante évolution.

Innover pour séduire de nouveaux consommateurs

Force est de constater que le dynamisme et la premiumisation du monde des spiritueux ont encouragé les producteurs français à se remettre en question. Tous ont réalisé un gros travail en matière de production en visant l’excellence, mais aussi en termes marketing, qui a longtemps été le point faible de nos distillateurs. Et, aujourd’hui, cet engagement porte ses fruits comme le constate Vincent Cornu, l’un des créateurs des armagnacs L’Encantada. «On a le sentiment que le travail effectué depuis plusieurs années pour faire connaître nos produits paye. On a un terroir à défendre, on a de vraies histoires à raconter, on offre une grande traçabilité aux amateurs. Cela contribue à l’engouement actuel pour l’armagnac. Même Serge Valentin déguste de plus en plus d’armagnacs !»

À ce titre, l’innovation s’impose comme l’une des clefs du succès. «Pendant longtemps, le calvados a manqué d’innovation, affirme Pierre Martin Neuhaus, à la tête de la maison de calvados Coquerel. La nouvelle génération aux commandes des distilleries est davantage tournée vers l’expérimentation et cela permet de séduire de nouveaux consommateurs.» Un point de vue partagé par Guillaume Drouin. «Avec la gamme Experimental, j’ai eu envie d’aller plus loin dans les expérimentations, de chercher avec précision quel calvados marier avec quel fût. Nous avons déjà lancé un calvados ayant bénéficié d’un finish en ex-fûts de Hampden, de Long Pond et de tequila Calle 23. Nous dévoilons cet automne un Caroni Angels, un calvados Pays d’Auge de 17 ans très puissant qui a terminé son vieillissement en ex-fûts de Caroni pendant dix mois. Son lancement fait déjà beaucoup parler.»

Au-delà des geeks, les producteurs ont bien compris que l’innovation permet aussi de toucher une clientèle plus jeune et, par là même miser sur le futur. Pour cela, ils sont nombreux à tenter leur chance dans l’univers du cocktail, à l’image de Benoît Hillion, à la tête de la maison Dartigalongue, avec sa gamme Expérience dédiée à la mixologie, ou des cognacs Planat. «Notre dynamique vient de la mixologie qui nous permet de toucher une nouvelle génération qu’il s’agisse des barmen ou des consommateurs, affirme Marie Nau, marketing manager des cognacs Planat. Pour cela, nous avons créé une gamme pour le monde du bar avec notamment un Overproof mis en bouteille à 65 %.» «Les spiritueux français ont trouvé leur place dans les bars à cocktails, renchérit Timothée Badie, le co-fondateur de Côquetelers. La Blanche d’Armagnac, par exemple, fonctionne très bien en cocktails, notamment en Blanche Sour. On peut considérer que c’est notre pisco français et l’avantage, c’est qu’elle n’a pas fait 10 000 kilomètres avant d’arriver dans nos verres.» Une évidence pour Julie Couder et Giovanni Allario qui, après avoir travaillé au Syndicat, célèbre bar parisien qui élabore ses cocktails exclusivement avec des spiritueux français, ont fondé Sete, une société de consulting spécialisé dans les spiritueux et le cocktail. Il y a un an, à bord d’un van, ils se sont lancés dans le Tour de France des distilleries françaises que l’on a pu suivre sur leur page Instagram. «Nous nous intéressons depuis longtemps aux spiritueux locaux, mais nous souhaitions en savoir plus sur ce qui nous entoure, expliquent-ils. Sur les produits mais aussi sur l’humain. Nous voulons contribuer à démocratiser les spiritueux français notamment via le cocktail qui est un moyen de toucher un public plus jeune.»

En termes d’innovation, de plus en plus d’acteurs vont encore plus loin pour toucher de nouveaux consommateurs et faire connaître leur distillerie, n’hésitant pas à se frotter à de nouvelles catégories. C’est notamment le cas de Guillaume Drouin qui a lancé Le Gin en 2015 et fait figure de pionnier en la matière. «La sortie de notre premier gin nous a ouvert des portes, relate-t-il. Il a suscité énormément de curiosité et a beaucoup contribué au rajeunissement de l’image de la maison et au développement de notre notoriété.» Un point de vue partagé par Luc Merlet.  Le lancement de Coperies, notre whisky, nous a ouvert des portes, d’autant qu’il y a un vrai engouement pour les malts “made in France” sur le marché hexagonal, raconte-t-il. Les cavistes référencent plus facilement un whisky français et, via le whisky, ils s’intéressent davantage à notre maison et à nos cognacs.» Apporter de l’innovation, c’est aussi la volonté de Philippe Terlier. «Nous avons développé une gamme de calvados arrangés issus d’une macération de fruits frais. C’est une autre façon de découvrir le calvados et d’étendre la consommation du digestif à l’apéritif. Nous lançons également un gin et une vodka élaborés sur une base de pommes. En restant fidèles à notre matière première, nous apportons de l’innovation sans pour autant trahir notre ADN.» De son côté, Frédéric Dussart, Pdg du Château du Breuil, affirme : «Nous avons beaucoup travaillé sur le rajeunissement du calvados sans oublier d’améliorer sa qualité. Nous avons aussi lancé nos marques de whisky Le Breuil et de rhum Rum Explorer. Depuis, notre portefeuille de spiritueux français marche mieux : le whisky et le rhum font vendre le calvados.»

Le bio, dont l’offre se développe peu à peu dans le monde des spiritueux, est également un axe de développement pour les producteurs hexagonaux. «Nous avons lancé un gin, une catégorie très dynamique, qui est une bonne façon de parler aux cavistes et aux bars, et de faire le pont avec le calvados, relate Pierre Martin Neuhaus. Nous avons également sorti un gin bio. C’est aussi une façon de rappeler que le calvados est le spiritueux le plus écoresponsable au monde.» «Le fait que notre gamme soit 100 % bio est également un atout pour séduire la jeune génération qui y est très sensible, note également Marie Nau. Du fait de nos partenariats exclusifs avec des viticulteurs bio, nous possédons le plus gros stock de cognacs bio de l’appellation.»

Pour renouer avec le succès, les producteurs français soignent aussi le look de leurs embouteillages. Et, en la matière, ils se distinguent avec des packagings plus modernes mais aussi plus éco-responsables, notamment les cognaçais particulièrement innovants. Avec son cognac 5, la maison Bache-Gabrielsen peut ainsi se targuer d’avoir lancé le premier cognac entièrement pensé dans le respect de l’environnement. Au-delà d’être le fruit de l’assemblage de cognacs bio, sa bouteille répond à la règle des 5R qui régit l’éco-conception. Tout comme son bouchon, son étiquette et son carton de conditionnement, sont recyclés. Avec le lancement du cognac bio 2050, la maison A. de Fussigny a elle aussi révolutionné le packaging. Ce cognac bio peut en effet se vanter d’être commercialisé dans une bouteille élaborée en fibre de lin issu de l’agriculture française et en rPET recyclé à 100 %, pouvant ainsi revendiquer le plus faible impact carbone au monde.

Il y aurait encore beaucoup à dire sur les efforts réalisés par nos distillateurs notamment en matière de communication que ce soit sur les réseaux sociaux ou en confiant leurs relations presse à des agences, sans oublier la montée en puissance du spiritourisme. «Avant la crise sanitaire, nous accueillions 40 000 visiteurs par an, raconte d’ailleurs Frédéric Dussart. Notre domaine avec son château et ses 27 hectares est un véritable atout. Nous allons créer cinq suites de luxe au château.» Le retour de hype des spiritueux français traditionnels ne doit rien au hasard et il semblerait que les producteurs aient raison d’être confiants en l’avenir.

Surfer sur le vintage

Le vintage, ça marche toujours ? Il semblerait bien ! Comme son père, qui a fait un gros travail pour faire connaître les calvados de la maison Christian Drouin auprès des restaurateurs, Guillaume Drouin s’est attaché à faire découvrir les eaux-de-vie familiales aux bartenders. Aujourd’hui, il souhaite faire redécouvrir une tradition oubliée, celle du café calva. «Il y a quelques années, il ne fallait plus parler du café calva, rappelle-t-il. Mais c’est une tradition très ancienne qui est née dans nos campagnes et qui a gagné Paris avant tout parce que c’est bon. Nous voulons remettre cette tradition au goût du jour. Pour cela, nous avons travaillé avec la Brûlerie de Belleville et nous glissons une goutte de Blanche sous la mousse de l’espresso.» Une tendance qui n’a pas échappé à Pierre-Emmanuel Racine Jourdren, le co-fondateur de Sassy. «Comme nous l’avons fait avec le cidre, avec le lancement de nos calvados, notre volonté est de multiplier les moments de consommation d’autant que le consommateur est de plus en plus ouvert et explorateur. On le voit avec le café goutte qui revient à la mode.» De son côté, s’il a lancé une gamme dédiée au monde du bar et un armagnac bio, des créations parfaitement en phase avec les tendances actuelles, Benoît Hillion veut aussi redonner ses lettres de noblesse à ses Pruneaux à l’Armagnac, une véritable Madeleine de Proust. Pour cela, il leur a offert un nouveau look tout en restant fidèle à la recette familiale. Les Pruneaux à l’Armagnac de la maison Dartigalongue sont toujours élaborés à Nogaro, à la main, avec de véritables pruneaux d’Agen qui sont plongés dans une liqueur préparée avec de l’armagnac Dartigalongue, du thé noir de Ceylan infusé maison et du sirop de sucre. En mettant à l’honneur deux produits emblématiques de la Gascogne, ils illustrent parfaitement la gourmandise du terroir local. De quoi séduire une fois encore les nouvelles générations.

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