Tout au long de son histoire, La Maison du Whisky a contribué avec passion, à diffuser la culture des spiritueux un peu partout en France. Le whisky qui demeure la catégorie phare dans l’hexagone, est longtemps restée inexplorée. Retour sur l’une des collections phares qui ont fait la réputation de LMDW : The Artist ou comment l’art et le whisky installent un dialogue captivant à travers le temps.
En 1956 Georges Bénitah (le fondateur de LMDW) et ses deux frères décide de se consacrer au vaste héritage du whisky. À l’époque, le malt ne jouissait pas encore de la réputation qu’il a aujourd’hui. En 1962, le premier Single Malt – un Glen Grant – fut mis sur le marché, et dès 1977, le catalogue de La Maison comptait déjà 150 étiquettes. Un an plus tard, un accord de distribution avec les embouteilleurs indépendants ecossais de premier plan, Gordon & MacPhail marqua un nouveau chapitre dans cette aventure passionnante.
Aujourd’hui, on peut affirmer que La Maison du Whisky a largement contribué à accroître la popularité et la consommation du scotch en France et dans toute l’Europe et en provenance d’autres pays. L’arrivée de Thierry Bénitah à la tête de l’entreprise en 1995 a apporté un véritable coup de fouet au développement et à sa diversification.
Le projet Artist a été créé en 2011 sous forme d’une série d’embouteillages indépendants – principalement par le biais de micro-sélections de fûts uniques embouteillés brut de fût, dans le respect de normes de qualité sans compromis.
Pourtant, la série Artist va bien au-delà. A l’époque, l’idée était véritablement révolutionnaire : marier des spiritueux d’exception à l’art contemporain, en associant des œuvres d’artistes visuels émergents à des produits d’excellence.
La série Artist fêtera bientôt ses quinze ans et depuis son lancement, le monde du whisky a beaucoup changé. A cette occasion nous avons interviewé Thierry Bénitah, qui nous a fait découvrir SA Maison du Whisky.
Lors de la création de la collection The Artist, vous êtes-vous inspiré d’un embouteilleur en particulier ? Quel a été son accueil ?
L’idée initiale appartient à Marlène Léon. Elle a travaillé avec nous pendant 18 ans et vivait à Singapour au moment où nous avons lancé le projet. Nous avions besoin d’une nouvelle manière de communiquer sur les productions en édition limitée de La Maison du Whisky.
Depuis les années 1990, nous n’avions embouteillé principalement que des fûts uniques. En 2010, nous avions l’impression de faire presque la même chose chaque année. Nous étions à la recherche d’un nouveau souffle et d’une approche inédite, quelque chose que les gens pourraient associer de façon plus intime à La Maison du Whisky – en d’autres termes, quelque chose qui allait au-delà du simple whisky.
Pour nous, et surtout pour Marlène, l’esthétique était absolument primordiale dans ce projet, presque plus que le whisky lui-même. Nous savions que nous allions à contre-courant en ciblant des amateurs de whisky pour qui l’âme du spiritueux et les informations sur l’étiquette occupent une place centrale. Cependant la dimension artistique demeurait essentielle.
Ce ne fut pas facile au début, d’autant que nous ne disposions pas d’un budget conséquent pour investir dans de grands noms de l’art. Nous ne cherchions pas les artistes les plus célèbres, mais souhaitions impliquer dans notre projet des artistes méconnus que nous estimions être le parfait complément à notre idée.
Par exemple, Warren Khong, un artiste de Singapour rencontré par Marlène lorsqu’elle y vivait. L’idée était de lancer simultanément le projet en France et à Singapour.
“…nous avions l’impression de faire presque la même chose chaque année et recherchions une approche inédite, quelque chose que les gens pourraient associer de façon plus intime à La Maison du Whisky.”
C’était une approche radicalement différente de la vision traditionnelle du whisky, une démarche véritablement personnelle. Nous avons décidé de partir de là parce que cet artiste nous plaisait énormément et qu’il avait quelque chose d’exceptionnel. L’objectif était de communiquer une émotion avant même de parler du whisky.
Avec le recul, je dois dire que j’ai été très heureux de lire l’une des dernières critiques de Serge Valentin sur whiskyfun.com, à propos d’une récente édition de la série Artist. Il appréciait le whisky, mais c’est surtout l’artiste qu’il louait, en insistant notamment sur l’étiquette.
Chaque fois que Serge évoque le projet, il aborde d’abord l’aspect artistique, puis le whisky, ce que je trouve formidable. Après tout, il s’agit d’éditions limitées disponibles en très petit nombre, un véritable exercice de style plus qu’une opération commerciale. La dimension artistique prend donc, de plus en plus d’importance au fil des années.
Comment le processus de sélection des artistes a-t-il évolué au fil du temps et comment fonctionne-t-il ?
Lorsque nous avons débuté, nous ne disposions d’aucune véritable connexion dans le monde de l’art – nous n’en savions guère beaucoup non plus. Idem pour Marlène, qui, après avoir quitté l’industrie du whisky, travaille désormais en tant qu’agent pour plusieurs artistes. Elle passe le plus clair de son temps dans les galeries d’art.
Sa passion nous a inspiré non seulement moi, mais aussi toute l’équipe qui collabore avec elle. Sans cette dynamique, la série Artist se serait arrêtée dès la première édition, et nous en sommes aujourd’hui à la quinzième.
Certes, la dynamique a changé mais l’esprit est resté intact. La différence réside dans le fait que nous avons désormais acquis une solide expérience dans le monde de l’art, et qu’une équipe de trois personnes se consacre exclusivement à ce projet. Elles recherchent activement des artistes, visitent des galeries, entretenant également des relations avec des revues spécialisées. Nous avons, je crois, réussi à créer un réseau de qualité.
À l’origine, l’objectif était de travailler avec des artistes peu connus afin de leur offrir une plus grande visibilité. Nous continuons dans cette voie, tout en collaborant désormais avec des artistes plus renommés. Fort de quinze ans d’expérience, nous ne nous reposons plus uniquement sur notre instinct comme au début. Aujourd’hui, il ne s’agit plus simplement de trouver un artiste, mais de trouver celui qui nous convient le mieux.
“Je crois que l’une des forces de ce projet réside dans le travail collectif d’un groupe soudé, ayant développé une sensibilité artistique commune, plutôt que dans l’action d’une seule personne.”
Chaque année, nous définissons un thème différent – par exemple, le dernier était consacré à l’Art Brut, nous ayant ainsi amenés à travailler avec des artistes de rue.
Aujourd’hui notre travail est reconnu et nous sommes continuellement à la recherche de nouveaux talents, ce qui nous permet d’établir sans cesse de nouvelles connexions et de tirer parti de multiples opportunités.
Au fil des années, un artiste de votre sélection a-t-il réussi à se faire un nom sur la scène artistique internationale ?
L’une des artistes avec qui nous avons collaboré est Gesine Arps, une Italienne naturalisée allemande qui a signé la série n°12. Déjà reconnue dans certains cercles artistiques, sa carrière a véritablement décollé aujourd’hui. Ses œuvres se vendent entre 20 000 et 50 000 euros, elle dispose d’une belle galerie à Paris et expose régulièrement à Berlin et à New York. Parmi les artistes les plus connus, citons Warren Khong, très réputé à Singapour et en Asie, qui collabore étroitement avec les autorités locales exerçant par ailleurs un poste de professeur universitaire. J’affectionne particulièrement le travail de Paola Pares, l’auteure de la série n°2, que je considère comme l’une des plus belles. Issue d’une famille d’artistes, elle a travaillé en France et, comme beaucoup, vit de sa passion.
« À mon sens, pour créer un véritable lien entre l’art et le whisky, il faut d’abord posséder une solide culture du whisky.”
Existe-t-il un lien entre le whisky contenu dans la bouteille et la peinture que vous sélectionnez ?
Lorsque nous choisissons une œuvre, nous commençons généralement par parvenir à un consensus au sein de l’équipe. Nous cherchons à ce que le whisky s’accorde parfaitement avec telle œuvre, tout en sollicitant l’avis de l’artiste. Cette démarche demeure très personnelle, mais lorsque nous faisons notre choix en interne, avec notre équipe de six personnes dédiée à la série, nous nous accordons environ à 95 % du temps.
À mon sens, pour créer un véritable lien entre l’art et le whisky, il faut d’abord posséder une solide culture du whisky. Nous appliquons également divers critères : nous associons la saveur et le style du whisky à un certain type d’art. Parfois, nous demandons même à l’artiste de déguster le whisky afin d’associer son œuvre au spiritueux qui lui correspond le mieux. Je crois que l’une des forces de ce projet réside dans le travail collectif d’un groupe soudé, ayant développé une sensibilité artistique commune, plutôt que dans l’action d’une seule personne.
Parlons whisky. Comment fonctionne le processus de sélection des fûts ? L’achat direct auprès des distilleries est devenu de plus en plus difficile après le récent boom. Travaillez-vous directement avec les producteurs ou faites-vous appel à des intermédiaires et à d’autres embouteilleurs indépendants ?
Lorsque nous avons commencé en 2011, nous nous sommes appuyés sur des embouteilleurs indépendants. Nous voulions proposer une gamme de produits de qualité tout en veillant à la viabilité financière – autrement dit, nous recherchions la qualité, mais sans compromettre l’équilibre économique. Nous avons trouvé le partenaire idéal en la personne de Signatory Vintage, un embouteilleur et sélectionneur écossais qui nous a permis d’accéder à une large gamme de fûts uniques.
L’expérience avec Signatory Vintage fut la meilleure option, car nous pouvions sélectionner les fûts directement depuis l’entrepôt, ce qui serait aujourd’hui impensable. Aujourd’hui, la situation est bien différente, car, comme vous le savez, les whiskies rares – c’est-à-dire ceux âgés de 20 ans ou plus – se font de plus en plus difficiles à trouver, même pour Signatory.
Nous avons donc dû chercher de nouvelles sources. D’une certaine manière, cela représentait aussi un défi, puisque nous avions été quelque peu gâtés lors des années précédentes et ne faisions pas beaucoup d’efforts pour dénicher du bon whisky.
Risquant de tomber dans la complaisance, nous avons été contraints de frapper à d’autres portes. Nous nous sommes tournés vers de grands producteurs et avons été agréablement surpris par les réponses positives – il n’est pas aisé de trouver des partenaires prêts à s’associer à ce type de projet et, de surcroît, plus le partenaire est important, moins il est flexible.
Nous avons travaillé directement avec des distilleries telles que Benromach, Chichibu, Kornog, Kavalan ou Sullivan’s Cove. Nous avons également collaboré avec Pernod Ricard et leur Strathisla. Grâce à cela, nous avons réussi à étendre notre réseau et, désormais, nous n’hésitons plus à explorer de nouvelles opportunités.
Nous sommes conscients que la série Artist peut véritablement renforcer la réputation d’une distillerie. Nous collaborons aussi avec d’autres embouteilleurs indépendants, comme The Scotch Malt Whisky Society. Nous sommes toujours en contact avec Signatory Vintage, mais notre relation n’est plus exclusive.
“Je suis conscient que le prix final est assez élevé, mais cela s’explique par le fait que nous investissons énormément et que notre marge bénéficiaire reste très faible.”
La série Artist se distingue toujours par une qualité exceptionnelle. Y a-t-il des embouteillages qui vous ont particulièrement impressionnés par leur qualité ou leur histoire ?
La majeure partie de notre gamme est constituée de Scotch, mais parmi ceux qui m’ont le plus impressionné figure un whisky français : un Kornog de 10 ans, issu de la série n°10. C’est un Single Malt tourbé que je trouve absolument fantastique. Un autre whisky exceptionnel est un Clynelish de 1990 sélectionné pour la série n°12.
Nous avons toujours une prédilection pour le whisky d’Islay et avons choisi quelques exemples remarquables, notamment de Bowmore. Plus récemment, avec notre dernière sortie, la n°14, nous nous sommes concentrés sur une seule distillerie en dédiant une série entière à Benromach, qui est, selon moi, une distillerie véritablement excellente.
Elle reste relativement méconnue et il est également très rare de la trouver en fût unique, mais je pense qu’elle offre une qualité incroyable, et l’édition 2022 est tout simplement remarquable. Nous l’avons achetée directement auprès de Gordon & MacPhail – c’était la première fois qu’ils acceptaient de participer à un projet avec une autre entreprise.
Lorsque nous leur avons demandé, nous nous attendions à un refus, mais ils nous ont répondu : « pourquoi pas ? » Par ailleurs, Logovarda – l’artiste que nous avons choisi pour cette édition – est très singulier et s’écarte de notre vision traditionnelle de Benromach, mais le résultat a pleinement satisfait toutes les parties.
Thierry Bénitah : Les marques ont de plus en plus envie de prendre des stands plus grands, plus puissants, plus beaux. Je ne sais pas si on est une référence pour eux mais ce qui est certain, c’est qu’on n’a jamais eu autant d’exposants. C’est la reconnaissance d’un événement qui compte au niveau international. Se déplacer du Japon, se déplacer d’Australie, du Mexique, de Californie, d’Afrique du Sud ou de La Réunion…Ce n’est pas pour assister à un événement de deuxième catégorie.
Comment la série Artist va-t-elle évoluer dans les années à venir ?
Depuis la série n°10 et notre projet international avec Chichibu, nous nous orientons progressivement vers le co-embouteillage avec des projets auxquels les embouteilleurs indépendants n’avaient jamais participé auparavant. Cela est possible grâce à la longue expérience de La Maison du Whisky dans l’industrie. Il faut également tenir compte du fait que, comme pour tout projet, lorsqu’on crée une gamme de produits, le public peut se lasser de voir la même chose année après année. Il nous faut faire preuve de créativité et renouveler constamment notre offre pour maintenir l’intérêt. Je suis conscient que le prix final est assez élevé, mais cela s’explique par le fait que nous investissons énormément et que notre marge bénéficiaire reste très faible.
Nous avons adopté cette nouvelle approche en réfléchissant à la manière de célébrer le dixième anniversaire de la série. Nous avons envisagé de proposer une gamme classique regroupant des distilleries écossaises, ainsi qu’une gamme spécifique pour mettre en lumière de jeunes distilleries du monde entier. La dixième édition a rencontré un grand succès et a quelque peu redéfini la série Artist. Dès lors, nous avons décidé de lancer chaque année deux projets : l’un classique, avec des distilleries écossaises, et l’autre constitué de séries spécifiques dédiées à une seule distillerie ou à un producteur hors d’Écosse. Nous avons également initié des séries en partenariat avec d’autres embouteilleurs indépendants, comme ce fut le cas avec Compass Box. Cette évolution permet de maintenir un intérêt constant pour la gamme.
Nous avons en outre imaginé une autre manière de nous démarquer – plutôt que de créer cinq ou six expressions par lot, nous proposerons parfois une septième expression, avec un produit unique, par exemple un Macallan de 30 ans ou un Karuizawa de 20 ans, associé à une œuvre d’art de grande valeur.
Je suis conscient que le prix final est assez élevé, mais cela s’explique par le fait que nous investissons énormément et que notre marge bénéficiaire reste très faible. L’artiste agit alors comme un aimant, aidant à écouler ces 200 bouteilles à des milliers d’euros chacune. Ces pièces uniques confèrent un prestige supplémentaire à la série Artist.
Thierry Bénitah : Les collectors, c’est le retour vers le passé. Certains produits sont en voie de disparition, donc ce sont des produits que les gens redécouvrent. J’en ai connu certains et j’ai la chance de pouvoir les faire découvrir aujourd’hui.
C’est passionnant. On fait redécouvrir une page de l’histoire à travers du whisky et des spiritueux. Les amateurs aujourd’hui ont envie de sortir des grands classiques, des grands standards. C’est quand même quelque chose que de pouvoir goûter des pièces de musée.
Il y a également les collectors un peu plus récents, des produits à très forte valeur et ou très qualitatifs qui peuvent devenir culte du jour au lendemain. Il y a ce besoin de produits uniques, de produits exclusifs qu’on ne trouve pas à tous les coins de rue.
Ce sont des produits hors catégorie qu’il faut aller chercher. Parfois, on les a chez nous, parfois on les a trouvés ailleurs. Parfois aussi, on demande à des partenaires de nous permettre d’y accéder.