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Les amateurs de rhum connaissent sa silhouette pour l’avoir croisée régulièrement sur les salons de dégustation. Herbert Barbancourt-Linge est celui par lequel la distillerie Providence de Port-au-Prince est née. A l’occasion de son passage en France, l’homme nous décrit la genèse de cette distillerie pas tout à fait comme les autres.

Herbert, avant tout j’aimerais que tu te présentes …

Mon père et moi avons une entreprise de négoce de rhum en Haïti, à Port-au-Prince. Nous commercialisons principalement les rhums Vieux Labbé et les liqueurs Berling. Notre marché est principalement sur l’île mais la société appartenait à mon grand-père, qui faisait un peu d’export. D’ailleurs, Luca Gargano a retrouvé des bouteilles de cette époque, qu’il avait importées à l’époque, dans les années 1990 en Italie.

Tu peux nous raconter le projet Providence ?

Nous avons toujours travaillé avec les producteurs de rhum de l’île, n’étant pas propriétaires d’une distillerie. Le projet Providence est né justement de l’envie, du désir et de la volonté de bâtir notre propre distillerie. 

A l’époque avec mon père, on avait des difficultés à choisir une direction, à trouver les bons fournisseurs d’alambics, notamment. Et puis on a rencontré Luca Gargano qui a, c’est vrai, joué un peu le rôle de guide. Sa vision, son expérience sur les différents marchés avec ses réussites, parfois aussi ses échecs, ont bien nourri nos réflexions.

On a rapidement conclu que la bonne idée serait de s’associer sur ce projet. En 2017, la construction de la distillerie a débuté. En 2019, les premiers batchs étaient distillés.

Comment avez-vous conçu la distillerie ? Qu’est-ce qui vous a inspiré ?

La distillerie a été imaginée par Gianni Capovilla (distillateur de renom de grappa italienne). Son expertise, son expérience se sont révélées indispensables. C’est Gianni qui a personnellement supervisé l’installation des alambics Müller, des modèles allemands, qu’il connaît très bien et qui font sa réputation.

Pourquoi avoir choisi ce lieu? En plein Port-au-Prince, la capitale haïtienne, c’est pour le moins risqué, non ?

C’est l’endroit où se situe le siège de Berling (la société de négoce). Le fait d’être installé en plein cœur de la capitale nécessite de s’entourer de personnes déterminées face à des situations pas toujours faciles en Haïti. Il faut savoir composer.

Pour faire entrer la matière première dans la ville, cela demande beaucoup de logistique et de planification. Il faut par exemple anticiper le mauvais état des routes et puis tu rajoutes le phénomène de sécurité, là ça devient vraiment plus compliqué. 

Mais on arrive toujours à faire face ! Regarde par exemple, en 2023, qui fut l’une des années les plus difficiles en Haïti sur le plan économique et politique depuis plus d’une décennie, eh bien on a eu notre meilleure production. C’est paradoxal, mais cela prouve que l’on arrive à s’adapter et à faire face à la situation.

Ça veut dire aussi que dans le futur, le jour où l’on aura une réelle stabilité, des projets pourront vraiment faire émerger Haïti sur le plan économique et culturel.

“A Providence, il y a deux matières premières que l’on reçoit, le sirop et le jus de canne”

Concrètement, comment t’organises-tu ? 

Le cœur de notre métier, c’est l’approvisionnement en jus et sirop de canne. On a donc décidé d’installer un alambic Müller sur le plateau central de Saint-Michel-de-l’Atalaye, situé sur la partie nord de l’île. A Saint-Michel, après la récolte de la canne, on réalise la première distillation. Michel Sajous (par ailleurs producteur des Clairins Sajous) s’en occupe, c’est lui qui récolte la canne, la broie, presse le jus qu’il transforme ensuite en sirop. 

A Providence, il y a deux matières premières que l’on reçoit, le sirop et le jus de canne. Le jus fermente assez rapidement et se détériore, on est quand même à 5-6 heures de route depuis Saint-Michel. Or, on veut la canne la plus fraîche possible. Le résultat des rhums en dépend. 

On transforme donc le jus en sirop en le passant au feu. L’eau s’évapore et réduit le risque de propagation des bactéries. Le sirop se conserve ainsi pendant des mois.

Parle-nous un peu du sirop de sucre, c’est une méthode répandue en Haïti ?

Oui, et pour plusieurs raisons. D’abord, on peut travailler le jus hors saison de récolte de la canne. Avant, les gens travaillaient au fur et à mesure, ils faisaient un peu de sirop et ils le conservaient. C’est idem aujourd’hui. 

Important également en Haïti : le goût. Beaucoup de personnes préfèrent le goût du sirop à celui du jus. 

Enfin, il faut savoir qu’il y a beaucoup de propriétaires terriens qui n’ont pas forcément de distillerie sur l’île. Ils ont leur petit champ de canne, mais pas forcément une distillerie ou un moulin. Ils louent alors des moulins mobiles, préparent le sirop, et enfin louent un alambic pour distiller. Avec le sirop, tu peux planifier et attendre ces gens qui peuvent distiller, le mois d’après ou la semaine d’après.

Mais vous travaillez aussi le pur jus de canne ?

Exact, c’est pour cela que l’on a un deuxième alambic qui fait seulement une distillation. La première distillation à Saint-Michel pour le jus de canne, et la deuxième distillation, on la fait à Port-au-Prince. 

Et du coup, le jus de canne comme le sirop sont réalisés chez Michel Sajous, puis transportés à Providence.

Donc vous avez doublé les alambics Müller ?

C’est ça, ce sont deux distilleries différentes. Il y a la distillerie de Sajous et une autre distillerie, qui est Providence à Saint-Michel. Ou dit autrement, c’est une distillerie de Port-Au-Prince à Saint-Michel (rires).

“Finalement, je pense qu’on a créé une vraie curiosité pour le rhum haïtien.”

Et pour les chais ? Quels types de fûts tu vas utiliser?

On a trois types de fûts : des ex-carbonés, des fûts neufs américains et aussi des fûts usagés ex-bourbons.

Par la suite on aura d’autres fûts, pour faire des assemblages différents. Quelques fûts de sherry également mais utilisés principalement pour les Clairins.

On ne s’est pas encore lancés dans l’assemblage. Aujourd’hui, il y a une gamme qui est relativement courte avec un blanc et il y a deux vieillis de trois ans.

Et on a eu l’occasion de faire déguster les trois types de vieillissement sur le Whisky Live en 2023. Ça permettait de voir vraiment l’évolution de chaque type de fût avant l’assemblage. 

Au début, on avait lancé un peu de mélange avec le first batch, le Providence First Drop. C’est pour ça que c’était un produit d’exception. Mais cela est resté la seule et unique fois !

Ces deux tons, pur jus de canne distillé ou sirop de canne, donnent au final des profils de rhums vraiment différents ?

Oui, ils sont assez différents. Si je devais mettre le point fort, ça serait en bouche pour le sirop et au nez pour le jus. 

D’ailleurs quand on l’a fait goûter à des barmans, beaucoup ont préféré le sirop. Ça allait mieux avec les cocktails, où le goût est plus important que le nez. C’est plus gourmand.

Comment se porte le rhum haïtien ? Tu penses qu’il y a un avant et un après la reconnaissance des Clairins ?

Le rhum haïtien a toujours été considéré comme un bon rhum, mais c’était absolument pas connu. Le travail opéré avec La Maison & Velier a dévoilé les Clairins et nous a ouvert les portes sur le marché français bien sûr, italien également, mais aussi à l’export. Finalement, je pense qu’on a créé une vraie curiosité pour le rhum haïtien. Régulièrement je vois apparaître de nouveaux projets qui émanent de l’île. C’est encourageant et je pense que nous n’en sommes qu’au début.

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