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Peat monsters, sherry bombs, overproof, high esters… L’époque encourage l’outrance et le clash jusque dans nos verres, et nos bouteilles nous tendent un drôle de miroir.

 

 

« C’est plutôt fade, non ? De toute façon, je n’apprécie que les whiskies tourbés, les autres me semblent boring », trancha avec emphase un ami à qui je faisais récemment goûter un highlander magnifiquement flatté par les années. Nous aurions pu en rester là si ce commentaire n’avait fait écho à de nombreux autres, similaires, glanés ces derniers temps devant un single malt ou un vieux rhum.

Que voulez-vous, notre époque qui glorifie le clash, encourage l’outrance et valorise la puissance jusque dans nos verres, ne s’embarrasse guère de subtilité, dessinant en filigrane un rapport au goût non dénué de brutalité. On veut de l’overproof, du brut de fût ou de colonne. On réclame de l’extrême, des montagnes russes, du high ester, du peat monster, de la sherry bomb. Ou bien du NAS (1) rincé à la vanille-coco des jeunes fûts de bourbon, des finishes tabassés par le marsala, le barolo ou le porto, des spiritueux “bourbonisants” anabolisés au chêne flambé. You name it.

Un rhum plein de finesse, un whisky délicat ? Aussi excitants que la position du missionnaire. Mais justement. Vous n’en avez pas marre d’enchaîner la brouette chinoise avec le vélocipède smyrniote ou le lustre à pendeloques tous les trois soirs ? (2) J’exagère ? Comptez donc les notes de dégustations qui s’écrivent en watts, comme s’il suffisait de se coller les doigts dans la prise pour prendre du plaisir en caressant des lèvres un spiritueux prêt à s’abandonner.

 

Tapinage dans le gosier

 

Aimantés par la séduction facile et tapageuse qui tapine dans le gosier, nous avons fini par croire que finesse et subtilité se confondaient avec fadeur et rasoir. Et nous ne faisons ainsi qu’encourager le déplacement du curseur de l’ennui vers les extrêmes dans une production monolithique et standardisée. Les jeunes speysiders clonés ne sont pas davantage dignes d’intérêt lorsqu’ils se roulent en fûts tourbés ou de PX le temps d’un finish badass.

Le livre le plus intéressant que j’aie lu dernièrement sur les spiritueux se consacre en réalité au vin : “Qu’est-ce que boire ? Critique de la dégustation des vins”, paru aux éditions Menu Fretin – j’y reviendrai dans une prochaine chronique. L’auteur, François Caribassa, rappelle qu’il fut un temps où l’on ne recherchait pas l’opulence ou la richesse dans un vin mais “une subtile complexité qui n’est pas sans évoquer certains grands thés verts de Chine que l’on déconseillait aux néophytes auxquels ils donnent une impression d’ennuyeuse fadeur. [Ce que ces vins] offrent, tout d’évanescence et de discrétion, mobilise l’esprit du buveur, qui doit aller rechercher consciemment parmi ses sensations un plaisir qui ne se donne pas facilement.

La délicatesse requiert du temps, pour se construire et pour s’apprécier. La subtilité se déguste en arrêtant l’horloge, ce que ni l’industrie des spiritueux prise de crampes à force d’appuyer sur l’accélérateur, ni les amateurs trop pressés ne peuvent plus s’offrir. Nos goût évoluent avec les époques, mais la bouteille, toujours, nous tend un miroir.

 

Par Christine Lambert

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(1) No Age Statement : spiritueux dépourvu de compte d’âge.

(2) J’ai appris à lire avec San Antonio, et pas au Cirque du soleil, que les choses soient claires.

 

 

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