Skip to main content

Et pourtant, il paraît que cela fait une très belle peau. (Cet article a été mis en ligne en janvier 2020, NDLR)

 

Si j’avais glissé 1€ dans mon cochon-tirelire à chaque fois qu’on m’a dit “Je fais Dry January” depuis la première heure de 2020, j’aurais de quoi m’offrir ce Talisker Secret Stills 1955 embouteillé par Gordon & MacPhail qui, au dernier Paris Whisky Live, m’a fait entrevoir les étages s’échappant au-delà du 7eciel. J’ai manqué de réflexe. Ça m’arrive souvent.

Je ne pratique pas Dry January, cette ferveur collective venue d’Outre-Manche qui incite à laisser les bouchons enfoncés sur les goulots pendant un mois. Le seul organisme vaguement vivant qui chez moi peut se contenter d’eau sont les fleurs dans un vase. On ne va pas lantiponner ad lib pour autant : les dangers induits par un usage nocif de l’alcool sont réels, il faut être d’une mauvaise foi crasse pour le nier.

On dit parfois qu’un bon maître de chai doit avoir en fin de carrière la main qui tremble un peu. Des mains qui tremblent un peu, j’en observe souvent. Pas seulement dans les chais. Et pas seulement en fin de carrière. Qu’elles tiennent un verre, un jigger, un stylo… Mais quand on appartient à la vaste communauté des amateurs, voire des connaisseurs, quand on fait profession des spiritueux, on échappe miraculeusement au diagnostic d’alcoolisme.

Les joies du trending topic

Raison de plus, me direz-vous, pour ne pas snober Dry January, cette première bonne résolution de l’année où l’on vous encourage à tester votre volonté sous un hashtag en trending topic. Cette bienheureuse abstinence qui vous promet – en vrac et dans le désordre – des améliorations sur votre bien-être général, votre cholestérol sanguin, votre poids, votre concentration, votre portefeuille (j’en doute, l’eau pétillante-rondelle coûtant plus cher que le demi dans ce pays de paradoxes), la qualité de votre sommeil, l’éclat de votre peau (Madame Figaro insiste beaucoup sur ce dernier point : Dry January, ça vous fait une très belle peau), etc, je vous laisse compléter.

Reste que si vous ressentez le besoin d’en passer par un mois de sobriété une fois l’an, il est peut-être temps d’interroger votre rapport à l’alcool d’une manière générale et de réévaluer votre consommation sur l’année. Une étude publiée en 2015 au Royaume Uni par des chercheurs de l’Université du Sussex (1) se félicitait des effets positifs observés un an après dryanuary : le nombre de verres descendus par les cobayes était en effet tombé de 8,6 à 7 (sic) par soirée, et l’échantillon humain en ébriété se contentait désormais de 2,1 bitures par mois contre 3,4 avant l’opération janvier sec. Chacun appréciera les motifs de satisfaction.

Nous devenons collectivement une société d’addicts enchaînant les sevrages au rythme des dépendances : le mois sans portable ou la journée sans voiture, le mois sans Twitter ou sans télé, sans sucre, sans tabac, sans café, sans viande, sans alcool… Se donnant bonne conscience en asséchant janvier à peine digérées les agapes de Noël/Saint-Sylvestre et fonçant lessiver le bar en culpabilisant dès Wet February revenu. Tenez, je le constate piteusement dans mon cas : je fais Dry BFM (excellent pour la peau également, ça me donnait des boutons), avec des rechutes régulières.

Oups, un gros mot…

Si l’on en croit l’ANSP, il est d’ailleurs perturbant d’observer que, tout en ayant diminué de moitié leur consommation d’alcool en 50 ans (2), les Français s’éloignent du modèle latin jusqu’ici prévalent (un usage régulier) pour se rapprocher du modèle nordique et anglo-saxon (un usage moins fréquent mais plus important). Où l’on alterne le binge (plus de 6 verres en une occasion) et la sobriété. Où est le plaisir ? Pardonnez-moi ce gros mot.

Je crois davantage [ALERTE CLICHÉ !] aux vertus du moins boire pour mieux boire. Aux bienfaits d’une consommation modérée et responsable à l’année. Pour la définition de “responsable”, voir l’Agence Nationale de Santé Publique et non tonton Emile sur le coup de minuit le 31 décembre. Plus restrictive que l’OMS (3), l’ANSP conseille d’en rester à moins de 10 verres par semaine, à 2 verres par jour au maximum, avec au moins 2 jours secs hebdomadaires (soit une base minimum de 104 jours d’abstinence à l’année, plus que Dryanuary). Petit rappel : 1 verre = 1 unité d’alcool = 1 verre de vin standard ou un demi de bière ou une bolée de cidre ou 2,5 cl de spiritueux à 40% environ.

Le demi-tumbler de whisky, c’est donc 3 verres au bas mot. Ce tumbler que d’aucuns s’empresseront de poster ironiquement sous le hashtag #DryJanuary dès le premier de l’an. Les Jean Moulin du gras-alcool-gluten, affichant leur “résistance” face aux “dérives hygiénistes”, me dépriment tout autant qu’un mois de janvier à la Volvic.

 

Par Christine Lambert

Retrouvez Christine sur Twitter

 

  1. Une étude dont le moindre des biais n’est pas l’échantillon, aux deux tiers féminin.

  2. 26 litres d’alcool pur par habitant en 1961 contre 11,7 litres en 2017. La France se classe néanmoins toujours parmi les 10 pays où la consommation d’alcool est la plus élevée.

  3. L’OMS recommande un maximum de 21 verres par semaine pour les hommes, 14 verres pour les femmes, jamais plus de 4 verres par occasion et 2 jours d’abstinence consécutifs chaque semaine.

Laisser un commentaire

Inscrivez-vous à notre newsletter