L’amoureux du malt louche de plus en plus vers l’eau-de-vie gasconne, qui coche il est vrai toutes les cases : territoire restreint et préservé, production minuscule et artisanale, histoire ancienne, AOC protectrice… et prix (encore) abordables. Mais l’offre foisonnante peut parfois égarer les meilleures volontés. Voici donc les passerelles pour dénicher l’armagnac qui matche vos goûts en matière de whisky.
Inutile de nier, whisky lovers, je vous sens titillés par la tentation de l’infidélité. Oh, moins par curiosité ou par envie d’épicer le quotidien que par dépit. Trop de NAS* interchangeables, trop jeux de bois, de finishes millefeuilles qui ne disent rien des distilleries, trop de bling ou de luxe, moins d’émotions, moins de montagnes russes… et des prix qui ne cessent de cavaler en ayant les plus grandes difficultés à se justifier au regard du bof général. Bref. Les dingues de malt étranglés par la déception se surprennent de plus en plus à se détendre la luette avec d’autres liquides. En premier lieu les cognacs de niche et, surtout, les armagnacs.
Regardez au Whisky Live Paris la foule qui se presse chaque année plus nombreuse autour des stands charentais et gascons. Voyez comme La Maison du Whisky a ajouté l’eau-de-vie gasconne au catalogue de sa gamme Version Française. Car le fan de whisky porte son choix vers un style d’armagnac bien spécifique : les embouteillages à degré élevé, les vieux millésimes, les single casks, les jus non édulcorés. Cela tombe bien, les producteurs sont désormais prêts à les leur fournir.
Les prix, bien sûr, commencent à grimper : l’amateur de single malt qui se met au rhum ou à l’armagnac, c’est un peu l’équivalent du Parisien qui fait flamber l’immobilier en allant se mettre au vert – déclenchant de furieuses envie de lui tanner les joues à coups de paumes. Néanmoins, un single cask 1981 ou un compte d’âge 30 ans vous coûtent respectivement 198 et 117 € chez Dartigalongue, un Laubade brut de fût 1990 (30 ans, 50,4%) se cède à moins de 160 €, comptez 265 € pour un 50 d’âge chez Darroze… Quand vous arrachez un scotch de 18 ans à ces tarifs, vous dansez la macarena en tutu de plumes sur un fût.
Reste un détail avant de partir à la chasse au trésor : l’Armagnac compte entre 750 et 800 porteurs de stocks, minuscules pour la plupart. Impossible de tout connaître, de tout goûter. Une fois de plus, j’ai dû me dévouer. Voici donc quelques tips, qui vous aiguilleront en fonction de vos goûts en matière de whisky.
Carafes prestigieuses, millésimes somptueux, classique des classiques capable de s’encanailler dans le bar :Dartigalongue est le Macallan de l’armagnac. Le Macallan du XXe siècle, cela va sans dire. Qualité irréprochable, diversité aromatique, beau travail sur le brut de fût : les fans d’Aberlour se pencheront sur Tariquet (goûtez les 20 et 25 ans !).
Amateurs de Glenfarclas, Delord vaut de l’or avec sa production familiale moins consensuelle qu’on ne l’imagine, et ses Créations, l’équivalent des Family Casks. Votre faible pour Kilchoman vous enverra dans les Landes au Domaine d’Espérance, goûter les variations subtiles de blends élégants et les vintages intacts. Tandis que Jean Cavé louche du côté de Glenrothes.
On retrouve dans les Château de Lacquy l’insondable velours des vieux Longmorn alors que Château Garreau évoque Glendronach. Château Bordeneuve fait écho à Glengoyne, avec une capacité à dégoupiller sur les millésimes bruts de fût, tandis que sa déclinaison Baron de Sigognac rappelle Edradour. Darroze touchera au cœur les aficionados de Springbank, le Domaine de Danis ceux de Ben Nevis (ah, la Folleblanche 2022 !). En pionnier visant la mixologie, Laballe marche dans les pas de Glenmorangie.
Baron G. Legrand is the Gordon & MacPhail of l’armagnac. Point barre. L’Encantada prolonge l’esprit de Signatory Vintage : le négoce sur les montagnes russes, et c’est un compliment ! Alors que Clos Martin lorgne vers Douglas Laing, notamment les Regional Malts bien fichus. Du couture confortable à la Balvenie ? Castarède vous plaira. Du old school revisité qui renverse la table à la Benromach ? Château Saint-Aubin sans hésiter, c’est superbe. Classique tout en finesse à l’écart des sentiers trop patassés, Linkwood style ? Haut-Marin (les jeunes comptes d’âge).
Les frangins derrière le Domaine de Laffitte me font penser à Bruichladdich reboot, armagnac progressiste qui se cherche. Les eaux-de-vie d’une modernité folle proposées par la jeune Marlène Ducos au Domaine du Hour vibrent sur la longueur d’ondes de Nc’nean : à suivre, absolument. La toute jeune marque Récapet créée par Sabine Lurton intrigue à la façon des blends de Woven. Autre nouveau venu, Armin se lâche à la Brew Dog, cul nul et déluré sur le ton mais encore sage sur le fond.
Marquestan avec son M consensuel parlera aux groupies de Monkey Shoulder, les très belles quilles du Domaine d’Horgelus (si seulement ils se déboutonnaient un peu sur les degrés…) à celles d’Oban. Janneau et Glenlivet, même combat, Baron de Lustac et Tormore idem itou pareil. La coopérative des Hauts-de-Montrouge maintient la flamme de Strathisla, et les Highlands se planquent dans la Ténarèze à Pellehaut où l’on retrouve l’esprit de Dalwhinnie.
Château de Laubade, c’est Mortlach : incontournable, insaisissable, hautement collectionnable – et sans le mal de crâne de la distillation en 2,81. Gros bonus, ils ont commencé à distiller du whisky. Ah, le Domaine de Charron et ses millésimes bruts de flûte ! Amoureux d’Octomore et des gnôles no limit, c’est ici qu’il faut agiter les narines, la langue et les papilles (non, pas en même temps). Du classique bien troussé ponctué d’embouteillages cask strength et de carafes premium : Maison Fontan embrasse Highland Park. Sur la bouche.
Au Domaine d’Aurensan, Caroline Rozes rêve à l’unisson de Raasay ou Glengyle : créative, rigoureuse, un regard très contemporain sur la tradition la mieux ancrée. Goûtez son Carré des Fantômes, qui ressuscite des cépages oubliés. Enfin, depuis qu’Alexander Stein, le créateur du gin Monkey 47, a racheté Marquis de Montesquiou, il est en train d’en faire le Compass Box de l’armagnac, avec ses bouteilles au design accroche-mirettes et ses assemblages bien ficelés. Amis whisky lovers, c’est bon, vous avez de quoi vous occuper ? Ce n’est qu’un début, vous voilà prévenus.