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Il y a dix ans, la potion magique bretonne se dotait d’une indication géographique accrochée à un cahier des charges, l’une des 4 enregistrées auprès de l’Europe pour le whisky. Une appellation qui fédère aujourd’hui 12 distilleries et a grandement contribué à faire de la Bretagne la locomotive du whisky français. On vous fait le bilan d’étape en vous livrant quelques secrets au passage?

En janvier 2015, le whisky breton se dotait d’une Indication géographique (IG) – en même temps que son homologue alsacien venu accrocher ses wagons à la locomotive armoricaine. Depuis dix ans, une bouteille estampillée « whisky breton » ou « whisky de Bretagne » vous garantit donc un liquide brassé, fermenté, distillé et vieilli en Bretagne.

Pour fabriquer un whisky, comptez au minimum trois ans, la durée de vieillissement plancher encadrée par la loi. Pour pondre une IG, préparez-vous à poireauter 2 décennies en vous activant dans la coulisse.

Quand en 1987 Warenghem lance son premier whisky, le blend WB, Gilles Leizour, patron de la distillerie de Lannion, réfléchit illico aux moyens de protéger la potion bretonne.

Bercy et la DGCCRF se montrent bienveillants envers l’idée qui germe – traduire: bonne idée, mais il est urgent d’attendre. Alors tous les deux ou trois ans pendant une quinzaine d’années, Warenghem se rappelle à leur bon souvenir histoire d’arroser la petite graine.

Sept ans de réflexion

Enfin, la nouvelle tombe: la règlementation européenne va être rouverte. En 2006, Bernard Le Pallec, directeur commercial de Warenghem, se renseigne auprès de la DGCCRF pour voir s’il n’y aurait pas moyen, sur un malentendu, d’inscrire des IG dans le projet. Y avait moyen, figurez-vous.

Quand en 2008 le Règlement européen CE-110/2008 entre en vigueur, il officialise à son Annexe III l’inscription de l’IG whisky breton. En comptant sur nos doigts, ça fait donc 17 ans – mais on n’a que 2 mains. Plus sérieusement, l’UE fixe une condition: si elles entendent bénéficier durablement de la protection communautaire, les boissons spiritueuses ont 7 ans devant elles pour accrocher un cahier des charges à leur IG et le faire enregistrer. RDV en 2015.

Rien de tel qu’une date butoir pour secouer le sablier à l’INAO. En Bretagne, les premières réunions rassemblent les 3 producteurs de l’époque: Warenghem (Armorik), la Distillerie des Menhirs (Eddu) et la Celtic Whisky Compagnie (Glann Ar Mor). Kaerelis, à Belle-Ile, rejoindra les discussions quelques années plus tard.

3 distilleries, puis 1, puis 2

Quiconque s’intéressait au whisky français avant cette date se souvient avec une nostalgie amusée des guerres picrocholines et des renversements d’alliances qui agitèrent l’Armorique lors de ces discussions. Mais le temps possède cette double vertu d’adoucir les tensions et de réécrire l’histoire.

A 3 contre 1 dans la dernière ligne droite, l’IG va dans le mur. « J’avais fanfaronné en disant que j’étais prêt à y aller tout seul, se souvient Gilles Leizour. Ç’aurait été compliqué, mais je l’aurais fait! », jure-t-il dans un éclat de rire en ouvrant la boîte à souvenirs. Mais dans l’un de ces revirements qui signent les grandes épopées, Les Menhirs finissent par revenir à la table des négociations.

« On l’a accouchée dans la douleur, cette IG », concède aujourd’hui Loig Le Lay, à la Distillerie des Menhirs – en se marrant lui aussi. «On était contre pour des raisons inavouables: on avait encore du whisky écossais dans notre blend Grey Rock à l’époque [ce qui était parfaitement légal, et n’est bien sûr plus le cas, nda]. Et ça nous embêtait qu’il ne soit pas un whisky breton. Mais David [Roussier, arrivé dans les discussions en 2009, et qui dirige désormais Warenghem] nous a convaincus en nous disant qu’il était dans la même situation. Surtout, on a eu l’assurance que le blé noir serait reconnu comme matière première: ça a été la bascule. »

En 2014, les deux distilleries historiques de la région créent le Syndicat de défense du whisky breton pour porter le cahier des charges de l’IG. Lors de la procédure nationale d’opposition, où tout pékin – professionnel ou lambda – est invité à balancer des raisons de faire capoter le boulot des autres, la Scotch Whisky Association (SWA), occupée à batailler sur un autre dossier, laisse filer, et ne tique même pas sur le sarrasin.

Ouvrez la bouche et dites 44

Le Breton moyen se montre alors plus enclin à protester sur une autre question: la réunification de la Bretagne historique autour du whisky. Rien que ça! Pourquoi diantre la Loire-Atlantique n’était-elle pas incluse dans son ensemble dans l’aire géographique de l’IG?, s’émeuvent les contestataires en découvrant la liste capillotractée des communes du 44 autorisées à « en être ».

Parce que, tout simplement, l’aire du cidre de Bretagne a servi de modèle. Heureusement qu’on ne fait pas de whisky sur le mont Saint-Michel: on se fritterait encore!

Dix ans plus tard, 12 distilleries bretonnes ont rejoint cette IG particulièrement dynamique: Warenghem, Les Menhirs, La Mine d’or, Kentan, Naguelann, l’embouteilleur Fisselier, FDC (Bale Bro), Celtic Whisky Distillerie (ex-Glann Ar Mor, rentrée dans le rang en 2023 à la faveur de son rachat par Maison Villevert), la Distillerie d’Ouessant, la Distillerie du Golfe, Maison Jouffe et La Roche aux Fées.

Un renfort qui a contribué à structurer un « pôle historique fort », selon Loig Le Lay: « L’IG a fédéré des producteurs dotés chacun d’une vraie identité. On se connaît mieux, on s’entraide. Elle a aussi valorisé notre travail auprès des consommateurs et des cavistes. »

« L’IG a soudé les producteurs autour d’une démarche de qualité, renchérit David Roussier. On ne peut faire du whisky breton que si l’on maîtrise toutes les étapes de la production. C’est une grande force. » De fait, si l’IG Alsace autorise à acheter des brassins externalisés, le whisky breton exige que le brassage et la fermentation se déroulent sur le lieu de distillation, imitant en cela les whiskies écossais et irlandais.

Et l’IG whisky de France, au fait ?

« L’IG a permis par ailleurs d’écrire noir sur blanc que le berceau du whisky français, c’est la Bretagne, reprend le directeur de Warenghem. Cela a beaucoup contribué à la notoriété du whisky breton. » Crucial sur un marché aussi militant dans ses achats: la distillerie de Lannion écoule environ 70% de ses volumes en Breizhland – une proportion qui grimpe à 75-80% pour Les Menhirs!

L’appellation a également posé les bases solides pour construire l’avenir. « En tant que jeune distillateur, entrepreneur et breton, je suis très fier d’appartenir à cette IG. Chez moi, le sentiment d’appartenance est important », revendique Bertrand Jestin, qui produit à Brest un Bale Bro à base de maïs, lancé l’an dernier.

« Je pense que notre créativité est au service de l’IG et non l’inverse, poursuit-il. Je sens une concurrence saine avec un objectif commun: proposer des whiskys de qualité. » On attend à présent qu’une IG vienne encadrer le whisky de France. Patience, le dossier suit son cours. Pourvu que l’aventure soit aussi poilante à raconter un jour.

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