La distillerie charentaise s’apprête à dévoiler un single malt d’une nature inédite. Préparez-vous à un voyage sans précédent, les yeux rivés sur les étoiles, la tête dans la lune vers la terre inconnue, ad terram incognitam. Et si vous pensez que les fous ont pris le contrôle de l’asile, il n’est pas impossible que vous posiez le bon diagnostique. On décolle?
Après des mois de secret soigneusement entretenu, Fontagard dévoilera le 11 juin LUNR 9921-6. Un single malt qui a suivi « un processus de vieillissement rare et poétique », révélant « des saveurs inédites » pour « une édition limitée façonnée par l’invisible ». « Connaissant notre stratégie de nom, si tu croises avec les publications sur notre site, tu devrais avoir des indices », lâche Adrien Granchère, à l’origine du whisky de la distillerie cognaçaise.
Il est marrant, Adrien. Des méninges qui turbinent en accélérateur de particules, 12.000 idées/minutes, un temps de retard à l’allumage qui s’affiche en négatif. Et l’élégance de penser que je vais suivre et relier les points – quand ma vivacité intellectuelle tient du poulpe mort en cette période de l’année.
Allez, j’avoue: j’aime bien Fontagard. C’est l’une de ces trop rares distillerie où les fous ont pris le contrôle de l’asile. Avec méthode. Mais… Bon sang, où s’est planqué le Wookiee ? En attendant que le voile se dissipe sur la maturation céleste, les trois vaisseaux spatiaux en cuivre rutilant amarrés dans un vaste bâtiment attendent de s’envoler vers une galaxie lointaine. Et Chewbacca s’est fait la malle.
Lors de ma première visite chez Fontagard, en 2021, les cuves ternies, rachetées à une brasserie allemande, roupillaient sous un barnum dans le champ voisin, soucoupes volantes en rade près d’un cratère béant: la future salle de brassage. La maquette 3D qui à l’époque donnait une idée du possible a aujourd’hui pris vie. Spectaculaire. Manque la figurine de Star Wars qui trônait au milieu.
Sous le capot du Faucon Millenium
Cette brasserie, il y tenait, Adrien Granchère, allant même jusqu’à passer son diplôme de brasseur. Pas question de déléguer durablement cette étape créatrice d’arômes. Mais le process a dû s’adapter à l’équipement. Le mash tun qui accueille le malt concassé et 60 hl d’eau brasse le porridge en montant en température sur 3 paliers. Un dernier coup de chauffe, et la tambouille est envoyée dans la cuve filtre au milieu de la pièce, Faucon Millenium fumant de vapeur sous le capot.
On charge, on rince, on filtre pour récupérer les sucres. On charge, on rince, on filtre. Trois fois, pendant 4 heures en tout. Dans l’immense majorité des distilleries, cette étape se fait successivement dans la même cuve. « Là, pendant que je filtre, j’empâte à côté », insiste Adrien Granchère. Le moût part ensuite dans une 3e cuve tampon, et après refroidissement file dans les fermenteurs alignés à l’extérieur.
Avant le whisky, ces vastes tanks en inox se dévouaient à la production de cognac. Car à Fontagard, sur la commune de Neuillac, 4 générations de Granchère se sont succédées depuis 1878 pour distiller dans l’ombre les eaux-de-vie sur lesquelles les plus grands noms du cognac apposent leur marque.
En 2018, au retour d’une virée rugby en Ecosse, Adrien se pique de nourrir ses alambics à la bière. Et introduit l’ennemi juré du cognac dans son coin de Charente-Maritime. Le combo Flower of Scotland + visite de distillerie en a fait plonger plus d’un dans le whisky, me direz-vous.
Le pire contre-attaque
Le cognac enregistre alors des années records, mais les Granchère jugent néanmoins prudent de diversifier leur activité, avec la bénédiction du paternel, Dominique, sage Yoda passé du côté lumineux de la Force.
Dans l’inconscient cognaçais, quand ça va trop bien c’est signe qu’un jour ça ira plus mal. Et justement, le pire contre-attaque: inflation mondiale, taxes chinoises et valse hésitation des barrières douanières trumpistes sont en train de plonger l’eau-de-vie charentaise dans une crise amère.
Mais le malt, ici, est plus qu’une valeur refuge. Fontagard ne mesure pas ses efforts pour se forger une identité et imposer sa signature. « Sinon certaines journalistes écrivent que les whiskies cognaçais sont mous du genou et se ressemblent tous », ironise Adrien.
La distillerie de Neuillac produit désormais 2 types de brassin, pour 2 distillats: « Un distillat “traditionnel” rond et complexe, élaboré avec la souche de levure historique de Fontagard, une fermentation de 5-6 jours et un cœur de distillation prélevé sur 5h30. Et un autre issu d’une levure qui donne des profils plus fleuris, avec des fermentations thermo-régulées de 3 jours et un cœur de distillation de 4h30, sur le grain, plus rustique. »
Une histoire de maturation
Dans la salle des alambics, dix chaudières charentaises de 25 hl et une de 12 hl s’alignent sur la briquette des foyers à feu nu. La petite ne sert qu’au whisky et produit la qualité C12, utilisée en bonificateur dans les assemblages. Une fois la campagne de cognac terminée, les alambics coulent du malt, à la grande joie du distillateur. « Les eaux-de-vie de grain sentent meilleur, et les vinasses ont un parfum de biscuit. »
Mais cette année, la distillation se concentre sur un mois, au lieu de 2 ou 3 auparavant. Prudence en ces temps chahutés. Certes, les ventes de whisky français ont flambé de 38% en 2024 selon Nielsen. Mais la petite centaine de producteurs profite très inégalement de la croissance de ce marché.
Dans les chais de Fontagard, la maturation commence toujours en fûts de cognac. Avant de se poursuivre éventuellement en barriques de pineau des Charentes, de sauternes ou de saint-émilion. S’y ajoutent les fûts neufs charentais, qui depuis l’an dernier remplacent les barils de bourbon. Après assemblage, les lots sont ré-entonnés en fûts roux de whisky, et réduits tous les 6 mois de 5%.
Cette succession de futaille se retrouve dans les noms de la gamme permanente – CGNC, PNDC, STEM… – avec une cohérence très personnelle à Fontagard.
« Les premières années, nous visions les jeunes consommateurs qui arrivaient au whisky, décrypte Richard Lambert, cofondateur du projet malt de Fontagard, la tête dans les étoile mais pas dans la lune pour autant. D’où la bouteille noire. A présent, on veut également viser les amateurs plus experts. »
Faire grossir l’Empire du Malt
Cet hiver, un single cask brut de fût PNDC Folle blanche, livré dans une quille vermillon, marquait le premier pas dans cette direction. Et si TORB, présenté au dernier Whisky Live Paris, jouait l’initiation à la tourbe, Adrien carbure déjà sur la suite.
« Nous avons trouvé un moyen de nous approvisionner en tourbe française, confie-t-il. Oui, légalement! Et je vais monter une petite aire de maltage. » Une étape au fond logique puisque l’exploitation familiale fournit en grande partie l’orge, le reste étant moissonné chez les cultivateurs voisins.
Reste à accroître et fidéliser les rangs de l’Empire du Malt. Fontagard exporte la moitié de ses quilles: « Il nous faut donc progresser en France, en conclut Adrien Granchère. On devrait sortir une qualité plus abordable à la rentrée, autour de 30€. Et on va développer davantage le local, avec l’ouverture de la distillerie au public, avec un showroom et un recrutement dédié. A la fin de ma carrière, je veux 100.000 visiteurs! »
Une demi-plaisanterie, car avec 1,5 million de touristes par an sur la côte et quelque 30.000 visiteurs pour Hennessy ou Rémy Martin, le spiritourisme représente une manne à peine défrichée dans la région. Et les 17.000 curistes en peignoir venus se tartiner d’argile recto-verso dans les thermes troglodytes voisins, à Jonzac, finiront bien par découvrir que les vertus du whisky épousent à merveille celles de l’eau.