Si vous avez à portée de main de la glace, du whisky et un truc à bulles (et pas en plumes), vous pouvez faire baisser la température d’un cran sans vous fouler le poignet avec un éventail ni émettre de gaz à effet de serre. La preuve par l’un des plus célèbres long drinks : le highball.
Par cette météo incendiaire où le mercure se hisse parfois au-delà des 40° sans un pet de vent (ressenti 210°, thermostat 7 et chaleur tournante, voilà pour le point BFM), il est temps de convoquer le blizzard liquide, l’arme anti-canicule absolue : le whisky highball. Cela vous changera de l’IPA, du petit jaune ou du Mojito – le premier qui prononce le mot “spritz” est prié de quitter les lieux sans oublier sa paille.
Techniquement (un bien grand mot puisque, justement, il ne requiert aucune technique particulière), le highball se définit comme une boisson composée d’un alcool dilué dans un soft drink pétillant et servi sur glaçons dans un verre haut et étroit. Il trouve ses origines aux Etats-Unis, mais c’est le Japon qui, tout en lui donnant ses lettres de noblesse, l’a démocratisé en le préparant le plus souvent dans une chope à bière, avec du whisky généreusement baptisé d’eau gazeuse, rafraîchi d’autant de glace que possible – et, toujours mon obsession de l’hydratation, peu importe si les cubes gelés vous tombent sur les genoux.
Si le highball a sauvé le whisky nippon (à lire ici) et rallié en coupe réglée une civilisation dont on loue le raffinement et le sens de l’esthétique, on peut imaginer sans efforts qu’il possède quelques vertus. A commencer par sa simplicité rafraîchissante et son inclination pour la finesse de la cuisine nipponne, les poissons crus en particulier.
Hérésie en direct d’Islay
Au Japon, c’est le drink de base avec son frère le mizuwari (la même chose avec de l’eau plate), bon marché et disponible en cannettes, déjà mixé. Aux Etats-Unis, il opère en ce moment un réjouissant revival sur les cartes des bars à cocktail pointus. Mais en Europe, on continue à froncer le museau à la seule idée que glace et bulles puisse venir corrompre notre poison préféré. Sans même tenter l’expérience.
L’anecdote date un peu, elle m’a été racontée il y a une huitaine d’années par un pilier de Bowmore, distillerie écossaise propriété du géant japonais Suntory. “Un soir, au pub du coin, je commande un highball au Yamazaki 12 ans [en ce temps-là, on pouvait s’offrir cette quille sans hypothéquer le pavillon familial, nda], et le barman me regarde avec des yeux ronds. Boire un whisky japonais sur Islay à l’époque relevait du sacrilège, mais expliquer qu’en plus on le voulait sous de l’eau gazeuse et de la glace… Une hérésie.” Eclats de rire et quolibets fusent dans la salle, mais notre homme ne se démonte pas et fait tourner son verre, puis un second, pour que l’assemblée goûte. “Ce soir-là, au pub, la clientèle a liquidé deux bouteilles de Yamazaki et tout le stock de club soda. Hé ! Hé !”
Les Japonais le préparent en général avec des blends légers, les Américains au bourbon et au rye, mais tous les whiskies se prêtent au highball. Résistez à l’envie de le customiser, du jus de citron par ci, un trait de bitter par là, et hop une rondelle d’agrume ou de la menthe en salade en garnish : non ! C’est sa simplicité limpide qui donne tout son intérêt à cette épure liquide où le whisky s’affine, s’allège mais résiste entre les bulles et la fraîcheur.
Invitation à la subtilité
A l’origine, on l’allongeait modérément, et exclusivement d’eau pétillante (1 mesure de whisky, 2 mesures de club soda), mais ginger beer ou ale et cola se sont vite invités dans le gobelet, et la dilution japonaise a fini par s’imposer (1 mesure de whisky pour 3 à 4 de soft). Pourquoi pas ? Les Parisiens et visiteurs de passage dans la capitale pourront profiter du bar à highball éphémère Nikka pour prendre des notes, puisqu’il s’est installé au Golden Promise jusqu’au 3 août (8€ le drink), avec des accords mets subtils.
Pour les autres, voici deux ou trois tips qui, espérons-le, inciteront au passage à l’acte. Les whiskies tourbés jeunes ou aux tonalités végétales (Kilchoman Machir Bay, Hakushu, apprécient particulièrement l’eau pétillante, que vous choisirez aussi peu salée que possible (Perrier à défaut). Les blends légers (Suntory Toki ou Hibiki, Nikka Day, Cutty Sark, Chivas 12 – qui prend des notes de pomme verte…) également. Sur les ryes, la combinaison exhalera parfois des arômes de litchi. Les maturations en fûts de sherry ne boudent pas l’initiative : je l’ai testée (bien tassée !) sur un GlenDronach 10 ans, caressé d’un zeste de citron exprimé, et c’est tout simplement parfait.
Sur un blend qui a du coffre (Nikka From the Barrel, Johnnie Walker Red ou Black Label, Dewar’s, Black Bush…), préférez une dilution à la ginger ale qui fait craquer les épices.
Les bulles, pas votre truc ? N’hésitez pas à noyer dans l’eau de coco un single malt crémeux (le “cocowari” au Nikka Coffey Grain se teste au Golden Promise) voire un tourbé rectiligne ou velouté (Ardbeg Ten, Bowmore 12 ans, Kilchoman Machir Bay, Johnnie Walker Black…). A vous de trouver les accords qui vous comblent. Et pour varier les plaisirs, une dose de gin sous le tonic ou de vodka dans la ginger beer : oui, le G&T et le Moscow Mule sont aussides highballs. Et dire que vous highballiez sans le savoir…
Par Christine Lambert
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(Article initialement paru le 27 juin 2019)