Trente ans après sa première distillation, la distillerie de Lochranza fête cette année une réussite singulière dans le paysage écossais. Relancée en 1995 sur l’île d’Arran, à contre-courant d’une industrie alors moribonde, elle incarne aujourd’hui un modèle de résilience, d’engagement local et d’innovation environnementale.
C’était il y a tout juste trente ans. Le 29 juin 1995, alors que nombre de distilleries écossaises fermaient boutique, l’île d’Arran voyait naître un projet que beaucoup jugeaient totalement irréaliste. A 14h29 précisément coulaient les premières gouttes de spirit. Il faut dire que relancer la production de whisky sur ce territoire insulaire, déserté depuis plus d’un siècle par les distilleries légales, relevait d’un acte de foi. À la tête de cette entreprise, Harold Currie, vétéran du secteur, misait sur le retour à un artisanat enraciné, avec pour ligne directrice l’indépendance et la qualité. Le 25 juillet 1998, c’est l’acteur Ewan McGregor (Trainspotting) qui ouvre le premier fût du premier whisky d’Arran depuis 160 ans.
Trente ans plus tard, la distillerie de Lochranza ne se contente pas d’exister : elle s’est peu à peu imposée comme l’une des figures de proue du renouveau des années 1990. Avec son single malt Arran, elle a su convaincre un public international, sans jamais renier ses principes – ni filtration à froid, ni colorant, et une attention constante portée à l’origine de l’eau, celle du Loch na Davie, filtrée naturellement à travers les cascades de granite.
Un ancrage local, une portée globale
Située à la pointe nord-ouest de l’île, la distillerie n’a cessé d’étoffer sa gamme et de moderniser son outil de production tout en conservant une taille humaine. Stewart Bowman, en poste depuis 2021 après le départ de James MacTaggart, poursuit cette dynamique avec une équipe fidèle à l’esprit des débuts. Les visiteurs, eux, affluent : jusqu’à 100 000 personnes chaque année franchissent les portes de la distillerie, qui a reçu en 2018 le prix de la meilleure expérience touristique. Et côté production, on n’est pas en reste. La reconnaissance passe ainsi par le développement de nouveaux profils aromatiques. Fûts de sherry, de bourbon, mais aussi de vins ou de spiritueux variés : Lochranza explore sans excès, et contribue à enrichir le style Arran, tout en maintenant une cohérence de signature.
Lagg, la petite sœur tournée vers les tourbes
En 2019, l’ouverture de Lagg, au sud de l’île, marque un nouveau jalon. Avec cette deuxième distillerie, Isle of Arran Distillers peut ainsi diversifier son offre avec des whiskies tourbés, incarnés par les expressions Kilmory et Corriecravie. Elle renforce aussi la présence industrielle sur l’île, avec la construction de nouveaux chais de vieillissement, réduisant la dépendance logistique au continent.
Mais c’est sur le terrain de l’environnement que Lagg se distingue aujourd’hui, en s’impliquant dans un ambitieux projet de restauration de 325 hectares de tourbières sur le domaine de Dougarie. Menée avec Caledonian Climate et Peatland ACTION, cette initiative vise à rétablir l’équilibre écologique de zones autrefois asséchées, avec un potentiel d’économie de 16 500 tonnes de CO₂ sur 55 ans. Isle of Arran Distillers, qui finance le suivi du site pendant cinq ans, affiche clairement sa trajectoire : atteindre la neutralité carbone d’ici 2040. « Ce projet est un acte concret pour le climat, mais aussi pour la biodiversité et la qualité de l’eau locale », résume Graham Omand, directeur de Lagg.
Une alternative dans l’Écosse du whisky
Dans un secteur de plus en plus consolidé, dominé par les grands groupes, l’histoire d’Arran fait figure d’exception. Indépendante, intégrée, enracinée, elle incarne une voie singulière : celle d’un whisky de territoire, porté par une équipe qui préfère l’authenticité à la standardisation. À l’heure de souffler ses trente bougies, Lochranza ne regarde pas en arrière avec nostalgie, mais trace une voie de plus en plus affirmée : produire différemment, à taille humaine, dans un écosystème insulaire qu’elle contribue à préserver. Plus qu’un anniversaire, une déclaration d’intention.
Retrouvez notre reportage chez Arran dans le prochain numéro de Whisky Mag, sortie fin septembre.