Avec l’inauguration d’un Laboratoire National du Spiritourisme en Guadeloupe, l’État entend structurer une filière encore parfois embryonnaire, mais prometteuse. Derrière cette initiative, une ambition : faire du tourisme des spiritueux un levier de développement pour les territoires et une vitrine du savoir-faire français.
Le 10 avril dernier, l’inauguration du Laboratoire National du Spiritourisme à Gosier, en Guadeloupe, marque un tournant : pour la première fois, une instance dédiée ambitionne de structurer cette filière éclatée, aux marges de l’œnotourisme et du tourisme gastronomique. L’événement n’est pas anodin. Porté par l’Office de Tourisme de la Riviera des îles de Guadeloupe, soutenu par le ministère des Outre-mer et du Conseil Supérieur de l’Œnotourisme, ce laboratoire se veut un outil de coordination et de valorisation d’un secteur encore peu balisé. L’objectif est double : il faut pouvoir répondre à la demande croissante d’expériences autour des spiritueux et ancrer cette offre dans une logique de développement territorial.
Une offre en quête de reconnaissance
Or, à la différence de l’œnotourisme dont les standards sont bien établis, le spiritourisme souffre d’un manque de reconnaissance et de structuration. C’est précisément ce que veut corriger le nouveau laboratoire, en lançant notamment les travaux pour un futur Label National du Spiritourisme. Inspiré de l’expérience viticole, il doit permettre de poser un cadre autour de quatre axes : authentification des savoir-faire, valorisation du terroir, qualité de l’accueil, responsabilité environnementale.
Dans les faits, la France dispose déjà d’atouts considérables. Premier exportateur mondial de spiritueux en valeur, le pays recense 44 catégories bénéficiant d’une indication géographique protégée. Quant aux territoires ultramarins, ils représentent une force de production significative avec 321 000 hectolitres d’alcool pur de rhum en 2023, dont plus d’un tiers pour La Réunion. Pourtant, cette richesse ne s’est pas encore traduite par une offre touristique à la hauteur de son potentiel. Il fallait donc agir.
Un tourisme d’expérience à forte valeur ajoutée
A quoi bon, me direz-vous ? Le pari du spiritourisme repose sur une tendance de fond : la quête d’expériences authentiques, locales et culturelles. Visites de distilleries, séjours immersifs, accords mets et spiritueux… autant d’activités capables de séduire une clientèle exigeante et internationalisée, déjà bien connue des grandes maisons de cognac ou de whisky. En Guadeloupe, les initiatives récentes – comme la création du Prix de l’Excellence Gastronomique en partenariat avec le Guide LEBEY – témoignent d’une volonté certaine de monter en gamme.
Mais au-delà de l’image, les enjeux sont aussi économiques. Le secteur des spiritueux repose largement sur un tissu de PME et d’artisans – 95 % des acteurs – dont la visibilité reste limitée. Le développement d’une offre spiritouristique pourrait contribuer à renforcer leur modèle économique, tout en générant des retombées pour les filières connexes comme l’hôtellerie, la restauration ou animation culturelle.
Guadeloupe, laboratoire grandeur nature
Pourquoi la Guadeloupe ? Ce choix n’est pas seulement symbolique. L’archipel s’inscrit depuis plusieurs années dans une stratégie active de valorisation de sa culture rhumière, à travers des partenariats internationaux et des actions de formation. L’île accueille d’ailleurs, dès avril 2025, la première certification de « Conseillers en Rhums et Spiritueux », pensée pour professionnaliser l’accueil touristique dans les distilleries.
Ce positionnement fait écho à une volonté plus large : faire des destinations spiritouristiques de véritables marques territoriales. « La Guadeloupe se positionne comme le fer de lance de cette dynamique », résume Patricia Azor, directrice de l’Office de Tourisme local. Une ambition que le futur réseau national du spiritourisme, piloté par le laboratoire, devra concrétiser en fédérant distilleries, collectivités et acteurs du patrimoine.
La route reste toutefois semée d’embûches. Structurer une offre cohérente à l’échelle nationale suppose de surmonter la dispersion des initiatives, de former les professionnels, mais aussi d’adapter les infrastructures d’accueil. Il faudra aussi trouver un équilibre entre attractivité touristique et respect des terroirs, sans tomber dans le piège d’une folklorisation du patrimoine spiritueux.
En misant sur cette filière, les pouvoirs publics affichent leur volonté de diversifier l’offre touristique française. Le spiritourisme ne sera sans doute pas un nouveau « tourisme de masse », mais il pourrait bien devenir un marqueur fort de l’identité culturelle et gastronomique des territoires. A suivre donc (et à tester pour ceux qui n’ont pas encore de projets de vanaces !!).