Pour ce deuxième épisode du Velier Explorer, nous partons au Mexique en compagnie d’Héctor Vazquez (Master Distiller pour la marque Los Danzantes). Il dévoile pour nous les coulisses du Mezcal. Une reconnaissance de la catégorie à l’échelle mondiale aiguise depuis quelques années l’appétit des multinationales, en s’emparant des spécificités artisanales du spiritueux mexicain. Décryptage et analyse.
La production du mezcal est traditionnellement liée à de petites entreprises familiales. Le distillat a toujours été produit selon des méthodes artisanales et traditionnelles, dans des palenques, à partir d’agaves cultivées en harmonie avec d’autres cultures, et dans le plein respect du travail agricole. On pourrait même dire que la principale différence entre le mezcal et la tequila se situe précisément dans la qualité de sa production : alors que la tequila a été contaminée par l’industrialisation, avec de plus en plus de distilleries gérées par des multinationales, le mezcal a toujours été fabriqué de manière artisanale.
Mais à présent, cette spécificité est fortement compromise car un phénomène similaire a atteint également la production du mezcal.
Lorsque les multinationales ont réalisé, il y a dix ans, que le mezcal était un marché prometteur, elles ont voulu investir dans ce produit, en commençant par l’achat des matières premières auprès de petits producteurs. Cela a eu deux conséquences dommageables.
Tout d’abord le produit élaboré à partir de matières premières d’origines diverses a perdu de son originalité et de son caractère distinctif des distillats artisanaux. D’autre part, les grandes entreprises ont introduit des changements importants dans les habitudes de travail des petites fermes locales, en poussant l’augmentation de la production transformant ainsi les pratiques de culture et de distillation.
Dans tout cela, le risque est la perte des valeurs fondamentales de la catégorie visant aussi bien la signature du distillateur que les processus ancestraux et le respect pour la matière première.
Le Consejo Regulador del Mezcal
Un changement historique a été introduit en 2004, avec l’institution du Conseil régulateur du mezcal (CRM), qui gère les autorisations des dénomination d’origine (DO). Dès lors que l’autorisation est donnée, chaque distillerie approuvée par le CRM se voit attribuer un numéro d’identification (NOM) qui apparait sur l’étiquette et permet d’identifier l’origine du produit.
La nouvelle législation a imposé aux producteurs des règles très strictes quant à la dénomination « mezcal » des distillats d’agave. Le CRM demande en effet des données, des analyses et des certifications qui ne peuvent être obtenues que par le biais de procédures assez complexes.
Ces nouvelles contraintes pénalisent les petits producteurs et c’est l’une des problématiques majeures. En particulier, pour la mensuration et l’analyse des matières premières et des produits transformés, des agents chimiques et des outils avancés sont nécessaires. Mais les petits producteurs locaux n’ont pas toujours les moyens de s’offrir ce genre d’outils.
Malgré le fait que cette règlementation semble garantir l’appellation « mezcal », l’obtention de la certification DO est un processus qui demeure très couteux et laborieux pour les petits producteurs-agriculteurs traditionnels. Un processus que seules les entreprises bien financées et organisées peuvent adopter.
Pour faire face à ces obstacles, les petits producteurs sont donc contraints de travailler pour les plus grands opérateurs. La qualité est désormais, supplantée par la quantité, et, la « signature de l’auteur » qui autrefois était une garantie produit peine à exister.
Agriculture et distillation : ce qui a changé
Les normes du CRM ont fini par favoriser les grandes entreprises au détriment des petites fermes familiales qui, dans l’impossibilité de se doter des moyens requis, sont souvent poussées à la vente.
Les deux problématiques sont strictement liées : les petits producteurs vendent les matières premières aux grandes entreprises pour accroître leurs profits. Par conséquent, ils visent la quantité en laissant de côté la qualité. Si autrefois leur production était limitée à 4 ou 5 lots par an, aujourd’hui ils mènent des cultures d’agave intensives, parfois en monoculture, afin d’intensifier davantage leurs productions.
Ces nouvelles pratiques affectent la biodiversité locale puisqu’elles conduisent à l’abandon des cultures traditionnelles, comme le maïs, les salades et les haricots, des aliments qui, depuis des siècles, régissent le célèbre régime alimentaire mexicain, la dieta de la milpa.
La culture de l’agave a donc subi une intensification considérable
Cette intensification entraîne une perte de qualité, avec un impact sur toute la chaîne de production, jusqu’à la distillation. Il en découle que le goût du mezcal a lui aussi changé : la plupart des mezcals produits ces dernières années sont à base d’agaves tendres, non mûrs, issus des monocultures. De plus la diversité variétale tend à disparaître puisque la quasi-totalité des agaves cultivées est de type Espadin, une variété très précoce et extrêmement rentable.
Les variétés sauvages d’agave, traditionnellement utilisées pour la distillation, sont cultivées de manière intensive, et perdent leur caractère sauvage, déboussolant les équilibres qui ont régi l’univers du mezcal pendant des siècles.
Si l’on tient compte, en plus, des changements climatiques qui sont en cours, les problématiques se démultiplient. En appauvrissant la biodiversité par le déboisement et les monocultures d’agave, l’érosion augmente et les variations microclimatiques, causées par l’absence de plantes qui créent de l’ombre, favorisent la sécheresse et provoquent, par ricochet, des avalanches et des glissements de terrain.
Côté distillation la réglementation stricte qui dicte les normes, a des conséquences directes sur les processus, et pas seulement à cause des matières premières utilisées.
Par exemple, la nouvelle réglementation interdit l’utilisation de métaux lourds, comme le plomb qui était bien présent dans les alambics les plus anciens, et incite à l’introduction de pièces en acier inoxydable dans les serpentins ou les condenseurs des alambics.
D’une manière générale, les usines s’agrandissent avec, pour conséquence, l’habitude d’effectuer la distillation en continu et en multi-colonne.
L’ensemble de ces changements a ôté au mezcal l’originalité et l’authenticité qui ont toujours distingué ce distillat de tous les autres
La concordance entre agriculture et artisanat est l’un des principes fondamentaux pour l’évaluation de la qualité du mezcal. Celle-ci est le résultat, en quelque sorte, de l’œuvre de son « auteur », le producteur individuel qui cultive ses terres et transforme ses agaves, en ayant bien conscience de l’environnement qui l’entoure et des autres cultures et végétaux typiques de l’agriculture mexicaine.
La certification CRM a débuté en 2004. Depuis lors, de nombreux petits producteurs ont essayé de se conformer aux normes imposées, cela n’a pas été évident pour tout le monde.
En réaction, un « mouvement » mené par des producteurs traditionnels a vu le jour. Ces groupes de producteurs renoncent à la dénomination « mezcal » délivrée par le CRM, sans pour autant abandonner leurs méthodes traditionnelles de fabrication du mezcal.
En acceptant d’appeler leur produit « distillat d’agave » ou « aguardiente de agave », ils peuvent se dispenser de l’entière procédure requise par l’organisme de certification, tout en continuant à produire le distillat traditionnel, dans la légalité et le plein respect des règlementations fiscales et sanitaires, mais avec moins de contraintes.
Un nouveau marché du mezcal s’est créé
C’est ainsi qu’un nouveau marché du mezcal s’est créé avec la commercialisation d’un mezcal qui n’a pas le droit de s’appeler mezcal, mais qui, techniquement, est plus « pur » que « le mezcal ».
Ce type de spiritueux est particulièrement répandu aux États-Unis où de nombreux amateurs considèrent ces simples « distillats d’agave” bien plus authentiques que certaines bouteilles certifiées.
Dans de nombreux cas, pour faciliter le choix, une bonne « étiquette narrative » mettant en exergue les valeurs d’une production, la provenance de la matière première ou sa variété, peut valoir bien plus qu’une certification.
Ces éléments suffisent à exprimer une méthode de travail spécifique, fondée sur le respect du terroir, du sol à la plante, en passant par le processus de production qui doit être « propre » et sans recours à la chimie, et terminant par une distillation de qualité.
L’ensemble de ces éléments réunis permet au petit producteur de devenir « auteur », agriculteur et artisan, et de « signer » un produit de qualité, authentique et original, comme l’exige l’histoire du mezcal.