Sur la scène électronique française, Saycet se distingue par son univers musical onirique et poétique aux arrangements sophistiqués. Invité par La Maison du Whisky sur l’île d’Arran, en Écosse, le compositeur signe un morceau inédit, Vibration, inspiré de ce voyage au cœur des distilleries. Rencontre avec l’artiste, dans son studio parisien, autour de cette carte blanche sonore.
Saycet, c’est le nom de ton projet musical. Peux-tu nous en parler ?
Je compose de la musique électronique depuis 2001. Assez rapidement, des gens ont mis mes titres sur des médias, des pubs mais aussi des trailers pour des expositions dans des musées. Je n’avais pas encore idée que ça puisse être mon métier.
Aujourd’hui, ma profession première, c’est de faire de la musique de film, de la musique à l’image. On t’appelle, on te dit qu’on aime ce que tu fais et l’on veut que tu fasses quelque chose sur mesure. C’est d’ailleurs ce qui s’est passé avec La Maison du Whisky, pour la réalisation de ce morceau, Vibration.
Quelle a été ta réaction quand on t’a proposé de vivre cette expérience en distillerie ?
J’ai trouvé ça très drôle. Je suis assez friand de ce genre d’expériences. Mon métier m’a amené à être quelqu’un de très curieux, il m’a donné l’opportunité de découvrir d’autres univers, comme le whisky ! Quand je suis parti sur l’île d’Arran, je n’avais pas d’expérience dans la dégustation, j’aimais bien le whisky, plutôt tourbé d’ailleurs, mais je n’avais jamais mis les pieds dans une distillerie. J’étais en plein dans l’image d’Épinal, je n’imaginais absolument pas tout ce métal, cette machinerie, je voyais du bois, du silence.
« Pour moi, la distillation évoquait l’univers du parfum, le goutte à goutte, quelque chose de plus sensuel. »
Qu’est-ce qui t’a marqué, dans les distilleries ? Est-ce que tu as rencontré des contraintes particulières ?
Dans les distilleries Lagg et Arran, j’ai été frappé par les bruits très forts et mécaniques. C’était extrêmement bruyant. De vraies usines de production ! Pour moi, la distillation évoquait l’univers du parfum, le goutte à goutte, quelque chose de plus sensuel.
J’étais très loin d’imaginer ce bruit incessant de vapeur sous pression. Dans la salle des alambics, j’avais l’impression d’être dans une locomotive, une vraie machine à vapeur.
Quand je prenais du son dans la salle des alambics, je me demandais ce que j’allais pouvoir exploiter comme empreinte sonore. L’oreille humaine isole les sons, celui de l’orge maltée que l’on verse dans une cuve par exemple, mais le micro ne fait pas de tri avec la machinerie en arrière-plan.
« …on a réalisé des captations en extérieur, dans la nature. L’île d’Arran possède un patrimoine naturel très inspirant, très beau… On a traversé des paysages très sauvages, sous une lumière magnifique qui a sûrement donné cette intensité au morceau. »
Tu as fait une autre découverte, celle des chais où l’on fait vieillir le whisky, avec leur silence d’église…
Dans les chais, c’était tout autre chose. Ce sont des fûts, de la terre battue, du silence. L’expérience était plus proche de ce que j’avais imaginé. Ce silence monacal était plus confortable – même si le confort n’est pas forcément synonyme d’inspiration.
Finalement, j’ai utilisé plus d’enregistrements pris dans la distillerie que je ne le pensais : ces bruits chaotiques constituent la colonne vertébrale du morceau, associés à des sons plus précis qui viennent des chais.
Enfin, on a réalisé des captations en extérieur, dans la nature. L’île d’Arran possède un patrimoine naturel très inspirant, très beau… On a traversé des paysages très sauvages, sous une lumière magnifique qui a sûrement donné cette intensité au morceau. J’ai pris des sons de cours d’eau, de mer et de vent, que j’ai exploités avec parcimonie. Je voulais une musique avec du grain, de la profondeur, et ces bruits de nature s’avéraient presque trop lisses en termes d’acoustique.
Quels sons as-tu enregistrés sur place, concrètement ?
J’ai enregistré dans les salles d’alambics, dans les chais où l’on entend la mécanique des portes, le cliquetis d’une chaîne, les fûts qui roulent sur le sol, mais aussi les oiseaux, la mer, le vent… Je sélectionne, je n’enregistre que ce qui me surprend, ce qui m’interpelle. Finalement, je suis rentré à Paris avec 30 à 40 minutes d’enregistrement, ce qui est peu ! Le temps passé sur l’île m’a surtout permis de m’imprégner de cet environnement, du monde des spiritueux où j’ai été immergé pendant 48 heures.
Quelles ont été tes inspirations et tes intentions pour créer ce morceau ?
La première discussion que l’on a eue avec l’équipe de La Maison du Whisky, c’était de savoir si on voulait faire quelque chose de très arty ou un morceau qui puisse parler à tous, que les gens puissent se l’approprier. Et c’est très simple, pour y répondre je me demande juste : “est-ce que ma mère doit aimer ?”
D’emblée, on a évoqué un morceau puissant, structuré, pas expérimental, une musique plutôt accessible et transgénérationnelle. Et bien sûr, on imaginait une atmosphère onirique, voyageuse, puisque c’est ce qui me caractérise. Il y avait aussi la volonté d’utiliser un maximum la matière acoustique enregistrée sur place et de transmettre mon ressenti au contact de cet univers de la distillation, du whisky, du rapport au temps.
Vibration, pourquoi ce titre ?
En musique, la vibration c’est la longueur d’onde, la base du son. Le titre évoque aussi cette rencontre entre deux univers et les vibrations que cela peut représenter.
Cette création est donc ta traduction de cette rencontre entre la musique et l’univers du whisky ?
Je ne dirais pas que c’est une traduction directe, je parlerais plutôt d’impressions au contact d’une vraie découverte. En fait, quand je compose, que je me mets devant mon piano et mon ordinateur, je ne conscientise pas tellement.
Au retour d’Arran, j’avais déjà une mélodie en tête. Et comme le cadre de cette carte blanche était clair, j’ai travaillé assez vite. Mais j’ai fait des choix que je n’avais pas anticipés au départ : une longue introduction, du piano, trois breaks, une métrique en quatre temps. D’ailleurs je ne pensais pas que j’utiliserais les sons de la distillerie comme unité rythmique pour ce morceau. C’est le bruit de la vapeur sous pression qui m’a fait penser à un shaker.