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La forme de la bouteille, la robe du liquide, la couleur de l’étui, le nom du producteur, le design de l’étiquette… Tous les éléments visuels conditionnent votre perception olfactive et gustative – et le marketing en profite. Mais vous n’y pouvez pas grand-chose : vos yeux dégustent votre gnôle tout autant que vos narines et votre palais sur ordre de votre cerveau, sans craindre de vous berner.

Votre regard vous berne, vos mirettes vous baratinent. Vos yeux vous mènent par le bout du nez, y compris quand le pif en question se penche sur un verre à dégustation. La vue, sens dominateur et despotique, piétine tous les autres, manipulant votre cerveau avec l’efficacité d’un réseau social aux mains d’un milliardaire libertarien.

Avant même d’approcher les narines ou les lèvres d’un spiritueux, ce que vous voyez influence votre perception sensorielle. A commencer par la couleur du liquide versé dans le verre : une robe sombre envoie le signal « Régale-toi, c’est du vieux » à vos naïfs neurones, qui se laissent pipeauter en traduisant de surcroît « si c’est vieux, c’est bon, ou en tout cas meilleur ». On a beau savoir que la couleur du whisky (du rhum, du cognac…) passe la plupart du temps sous le ripolinage du caramel colorant E150a, il n’y a rien à faire, notre cerveau hésite toujours un instant.

Vive les dégustations à l’aveugle !

Plus intéressant, les chercheurs ont démontré que, lorsque deux informations se contredisent, le visuel prend le pas sur l’olfactif. « L’odeur perd toute stabilité quand on introduit de la couleur », relèvent les chercheurs Frédéric Brochet et Gil Morrot. Les deux universitaires rappellent une expérience menée en 1999 à Bordeaux et aujourd’hui enseignée dans tous les cours d’œnologie. Avec leur confrère Denis Dubourdieu, ils ont versé à des dégustateurs deux verres du même vin blanc, dont l’un avait été coloré en rouge sans modification de son goût. Oups, même les palais chevronnés s’étaient surpris à sentir le cassis ou la framboise dans un vin blanc.

L’être humain, en se redressant sur ses pattes arrière au cours des millénaires, a appris à se fier à sa vue plus qu’aux autres sens pour détecter les dangers et interpréter son environnement. Le système olfactif, plus lent que le système visuel, et doté d’une diversité chimique plus importante, s’est trouvé relégué aux attributs animaux. Quant à l’ouïe… Au XXIe siècle, elle a fini bouchée par les écouteurs d’iPhone – de toute façon, on ne s’écoute plus, a fortiori quand on ne peut plus se sentir.

Vos yeux, il va falloir vous faire une raison, dégustent votre gnôle avant vos narines et vos papilles. Et vous intiment quoi en penser, sans craindre de semer les fake news et les illusions. On sait par exemple qu’il suffit de changer la couleur de l’éclairage pour modifier le goût : une lumière rouge renforcera le fruité, tandis qu’une ambiance verte ajoute des notes plus végétales

Un étui rouge ? Finish en fût de sherry

Observez comme, depuis quelques années, les codes couleurs ont envahi les étuis des single malts, notamment depuis l’arrivée massive des finishes. Un packaging ou une étiquette à dominante rouge signalent un vieillissement en fûts de sherry, tandis que des éléments jaunes ou dorés désignent souvent une maturation en tonneaux de sauternes, et qu’un choix chromatique bleu vibrant renvoie à l’idée de fraîcheur (en général un jeune whisky). Comme sur les paquets de chips, la couleur vous suggère le goût.

« La perception doit être conforme à ce qu’on attend de l’objet avant même d’avoir perçu son goût », analysent Frédéric Brochet et Gil Morrot. Ainsi, les fabricants de sirops ajoutent la plupart du temps un colorant à leurs produits : un sirop blanc, si l’on en croit les réactions des consommateurs, sent moins la menthe qu’un sirop vert, même si l’extrait aromatique est le même. Face à un gâteau à la vanille coloré en vert, les trois quarts des becs sucrés n’identifient pas son goût, une majorité penchant pour une saveur amande.

Mais en dehors de la couleur, bien d’autres éléments visuels conditionnent le goût. « Des facteurs tels que la forme de la bouteille, de l’étiquette, la texture du papier, les typographies utilisées, les illustrations imprimées, etc, influencent votre perception du whisky, soulignait le professeur de neuromarketing Gordy Pleyers lors d’une conférence donnée au salon France Quintessence en 2020. Dans le vin, nos expériences ont montré que face à une étiquette compliquée, avec plus de détails, le consommateur accordait un surcroît de complexité au liquide. »

Et si on buvait l’étiquette ?

Même biais de confirmation lorsque votre œil repère sur la bouteille un macaron « Médaille d’or au Concours Trucmuche », ou quand il accroche le nom du produit. Si vous apercevez sur l’étiquette « Neisson Drop by Drop » ou « Ardbeg 1974 », vous allez non seulement apprécier le liquide en frétillant comme un gardon tout juste sorti de l’étang (du moins peut-on l’espérer), mais également lui attribuer les qualités et/ou les défauts attendus. Piteuse traduction : oui, vous buvez l’étiquette, espèce de snob – mais blâmez votre cerveau.

Dans le vin, plusieurs expériences montrent que les dégustateurs les plus aguerris se laissent prendre au piège lorsqu’on échange les étiquettes des bouteilles, de grands crus passant pour de petits vins et réciproquement. Mais comment pourrait-il en aller autrement ? L’imagerie cérébrale révèle en effet que, lors de la dégustation, plusieurs zones du cerveau sont activées simultanément, notamment celles qui traitent le langage, la vision et l’olfaction.

« Il y a encore des années, on pensait que le goût était une table à deux pieds – goût et odorat, commentait le chercheur Terry E. Acree lors d’une conférence de l’American Chemical SocietyOn sait maintenant que les saveurs dépendent en partie de zones du cerveau impliquant le goût, l’olfaction, le toucher et la vision. » Un conseil : fermez les yeux pour voir ce que vous buvez.

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