Skip to main content

Le Whisky Live Paris offre une photographie instantanée de l’industrie des spiritueux, de ses tendances, de ses déclinaisons, de ses mouvements tectoniques, de ses aspirations culturelles. Cette année plus que jamais. Car la photo s’imprimait en ultra-haute définition, sur 10.000 m2 offerts à plus de 18.000 visiteurs sous la Grande Halle de la Villette.

Vous aussi vous avez eu un peu de mal à vous en remettre ? Difficultés à mobiliser plus de deux neurones à la fois, dos en crépon d’osselets, palais encalminé, bulbes olfactifs lyophilisés, cervelle ouatée… et une foultitude d’images joyeuses de bouteilles, de découvertes et de rencontres qui tournent en boucle en tête, vous laissant assommé. Autant de symptômes qui signalent sans marge d’erreur 3 jours de Whisky Live Paris (WLP) au compteur.

WLP XXXL maxi plaisir

En passant sur 10.000 m2 (3.000 de plus que l’édition précédente), le WLP a une fois encore changé d’échelle, entrant dans une nouvelle dimension. Quelque 18.200 visiteurs se sont pressés sous la Grande Halle de la Villette (ils étaient 14.500 en 2021), soit près de 6.000 le samedi, 4.200 le dimanche… et plus de 8.000 pour la journée professionnelle du lundi. La Cocktail Street ayant quant à elle durablement amoché les tympans de 27.000 enthousiastes (25.000 l’an passé), avec une programmation pointue et très haut de gamme, beaucoup de marques premium – Neisson, Velier, Maker’s Mark, Woodford, Roku (Suntory, cette année, désertait le plateau)… Bref, un succès phénoménal, qui se mesurait aux retours positifs autant qu’à l’affluence.

Un salon du whisky de plus en plus inclusif

« Le WLP reste avant tout un salon du whisky, insiste Thierry Bénitah, patron de La Maison du Whisky et organisateur de l’événement. Mais, au-delà, toutes les dimensions des spiritueux deviennent stratégiques. Le rhum notamment a grandi, et cela commence à devenir sérieux. Le cocktail également, et mon coup de cœur cette année va au BenFiddich, le bar tokyoïte, totalement délirant. L’espace de la Grande Halle permet de coller à une industrie très dynamique, avec une vision la plus qualitative possible : l’événement doit maintenir une certaine tenue pour éviter de tomber dans le côté foire, tout en gardant de la décontraction pour ne pas devenir trop sérieux. »

Grâce à une jauge « conservatrice », le flux humain ondulait avec fluidité entre les quelque 420 stands, laissant une impression très confortable, même devant les haltes prises d’assaut – Nikka, Bruichladdich, Waterford & Co, submergés.

Scoop Alerte : Laubade se lance dans le whisky !

On retiendra la présence accrue de l’armagnac – et si, comme moi, vous vous y êtes trop attardé, un bon vieux rhume (j’ai failli oublier le e) à l’ancienne vous est tombé sur les bronches dans les courants d’air de l’entrée ! Je ne vous refais pas l’article de la semaine dernière, donc : beaucoup aimé les jeunes Organic chez Dartigalongue et N°149 chez Charron.

Au rayon c’est-off-mais-je-vous-claque-l’info-quand-même, l’un des fleurons de l’armagnac se lance dans le whisky. Laubade a commencé à distiller il y a un an du maïs, pour se distinguer, en colonne armagnacaise. Depuis cette année, le domaine cultive sa propre céréale, et le projet Milloc (maïs, en gascon), qui cherche l’inspiration dans le bourbon plutôt que dans le scotch, devrait prendre la forme des bouteilles en 2025 si tout va bien. On aura le temps de s’en reparler.

Mystique et mythique

Long arrêt chez 3S, avec énormément de découvertes. L’embouteilleur japonais présentait quelques shochus révélateurs. Je citerai le Gokuraku Shizune (à peu près « eau-de-vie qui dort calmement au paradis ») de la distillerie Hayashi, un shochu de riz mûri 30 ans en jarres de terre cuite, quasi mystique.

Le premier jour du salon, à vrai dire, je n’ai guère avancé plus loin ! Les heures se sont carapatées, et oups, il était déjà temps de filer faire la pom pom girl à la masterclass Whisky Fun/Sponge, où les exquis Serge Valentin et Angus MacRaild se sont livrés à une dégustation à l’aveugle pleine d’humour devant un line-up de folie. Dites-moi que personne ne m’a vue renifler le micro et parler dans mon verre sur le Clynelish 1973 Prestonfield…

French cancans

La belle mise en valeur des eaux-de-vie françaises a permis aux visiteurs de toucher de la langue la formidable vitalité du whisky hexagonal. Prometteurs débuts de La Distillerie de la Seine, avec un joli Pur Malt d’un an. Premier WLP pour TOS (The Other Side), venue avec son sympathique Artesia Fût Noir. La distillerie du Pas-de-Calais, qui a divorcé de la brasserie Page 24, va bientôt déménager « de l’autre côté » du village d’Aix-Noulette… et brassera à l’avenir elle-même son moût.

Armorik faisait déguster en loucedé son 15 ans N°4, édition limitée cask strength disponible uniquement via son tout nouveau club privé, le Chai N°4, qui proposera à l’avenir à ses gentils membres des embouteillages inédits. Sauvegardez bien ce lien, il n’est pour le moment pas encore accessible sur le site de Warenghem.

 

Au Domaine des Hautes-Glaces, la nouvelle mise du Moissons Rye est à tomber. Mais les diables isérois avaient embarqué du single cask à foison : Gargantua (60,4%), vieilli en fût de vin blanc sec cépage chenin, curieusement très gourmand, sublime sur le gras de cochon (j’explique plus loin) ; Minimus, un seigle de 10 ans, et Maximus, un single malt de 10 ans itou mûri en tonneau de croze-hermitage. Dimanche soir, l’équipe a offert à quelques chanceux une démonstration d’accords mets-spiritueux de haute volée chez Chocho. La Teq Paf sans téquila (et sans paf), avec Woska et jus de lieu jaune à descendre le cou tendu : yo, mais grave !

Le flacon le plus azimuté du WLP, c’est sur le stand Version Française, la gamme de négoce de LMDW, qu’on le sirotait : un Uberach 2004 vieilli 12 ans en fût de banyuls puis un an en feuillet de chêne français avant de reposer près de 2 ans en dame-jeanne de verre. Couleur d’encre, résineux, presque goudronneux, sur le café, la cerise noire confiturée, le cuir : improbable (dans le bon sens du terme) !

 

De l’autre côté des océans

Très agréablement surprise par le premier release du First Batch de Nagahama, jeune distillerie japonaise adossée à une brasserie, qui coule du whisky depuis 2016. Encore un off ? Ils vont ouvrir l’an prochain une seconde distillerie de malt à Kagoshima, sur un site qui fabrique déjà du shochu.

Enfin goûté les Nikka Discovery Aromatic Yeast, étonnants. Avec une préférence pour le Yoichi, totalement déconcertant, très léger, avec des notes tirant sur le saké.

L’Amérique du Nord est revenue en force, avec pas mal de stands et énormément de nouveautés. Signe que, enfin, les producteurs – hors blockbusters – s’intéressent à l’Europe et que les allocations vont grossir ?

Ouch, ça douille !

L’éléphant au milieu du salon, c’est bien sûr l’envolée des prix des bouteilles, perceptible à chaque halte sous la Grande Halle. Le très fin, très beau mais très jeune Blair Athol 8 ans 2013 Signatory (60,3%) à plus de 100€, ce qui vous ferait passer le superbe Mortlach 20 ans pour l’affaire du siècle à 225 €, ou le Balvenie Rare Discovery of Distant Shores 27 ans (dont 7 ans fûts de Caroni : mwahah !!!) à 1.300 €… Comment dire ?

Pour alléger la pression porte-monétaire, 8 ans devient le new 12 ans, avec un GlenAllachie et un Glenfarclas qui faisaient leurs débuts en France ce week-end.

Le stand Lefort, qui trônait sur 36m2 avec ses blends à 22€ – un carton dans la boutique du WLP, ce qui “speaks volume”, comme diraient mes amis Anglo-Saxons –, offrait à cet égard un contraste saisissant. On reviendra bientôt sur le sujet des prix, promis.

Le négoce change de modèle

Cela n’aura échappé à personne, les stands de négoce ont rétréci ces dernières années, à mesure que leur modèle économique évolue pour encaisser la difficulté à s’approvisionner en whiskies de classe A – ou B. Les embouteilleurs indépendants investissent donc plus lourdement dans la production : Signatory Vintage a doublé Edradour, Gordon & MacPhail inaugure en ce moment sa seconde distillerie, The Cairn, Elixir Distillers s’apprête à construire la leur sur Islay et Douglas Laing, après avoir racheté Strathearn (premier release l’an prochain) démarre en fin d’année les travaux de la future Clutha Distillery, à Hillington, près d’Edimbourg. De cela aussi, on reparle très vite en creusant le sujet.

1, 2, 3 soleil !

En franchissant l’hectare de surface, le WLP va devoir godiller pour ne pas devenir le rendez-vous des seules grandes marques. Un écueil évité grâce à une sélection de petits stands bien visibles, et non pas planqués sous les cages d’escalier), qui offrait aux curieux matière à dénicher, défricher, débusquer. L’écart se creuse, et c’est de plus en plus flagrant, entre l’offre de mass market et les produits de niche, plus artisanaux.

« Trouver le bon équilibre entre les grandes marques, les petites distilleries craft avec un pedigree intéressant et une sélection pointue de négoce, c’est la dimension que je surveille le plus, observe Thierry Bénitah. Avec le même espace, la même scénographie, on pourrait faire un WLP très différent avec une autre programmation. »

Il n’empêche. Tous les ans je préviens : “N’essayez pas de tout faire, vous ne pourrez pas”, mais on tente néanmoins le tapis. Désormais, on le sait, il est impossible de tout découvrir, de tout goûter. Il faut opérer de cruels choix. Cette année, j’ai traversé 10 mn la Rum Gallery, zappé le VIP, contourné le carré saké… et ai à peine pu toucher le mur du fond sur lequel s’appuyaient les tourbés : l’impression de jouer à 1, 2, 3 soleil en comptant trop vite. « Il reste pourtant de l’espace à conquérir », lâche Thierry Bénitah d’un ton songeur. OMG…

 

Par Christine Lambert

Retrouvez Christine sur Twitter

Leave a Reply

Inscrivez-vous à notre newsletter