Skip to main content

Inclassable, difficile à caractériser, impossible à définir: il paraît que le whisky français souffre d’une trop grande diversité de styles. Ce qui nuirait à l’émergence d’une identité en termes d’arômes et de saveurs. Allons donc vérifier ailleurs sur le vaste continent du malt comment les puissances historiques et les pays émergents se débrouillent pour faire aussi pire que nous.

« Le whisky français, j’ai du mal à le caractériser à la dégustation, à lui trouver une unité de goût. Et c’est sans doute sa grande faiblesse si on le compare au scotch », me confiait récemment un amateur érudit travaillant dans les spiritueux.

Cette constatation, formulée sous moult variantes, revient à vrai dire régulièrement dans la conversation ces derniers temps, sans doute en raison des efforts entrepris pour définir officiellement le whisky français (lire ici).

Difficile de le nier: entre les joies céréalières affûtées du Domaine des Hautes-Glaces, les jus frottés aux fûts de vin jaune de BM Signature, les échappées sur le maïs ou le blé noir de Milhoc ou Eddu, la tourbe sèche de Rozelieures – pour en citer 5 parmi une centaine –, il y a un monde riche d’une folle diversité. Je peine à y voir une faiblesse, mais admettons.

Admettons qu’il soit difficile-impossible-compliqué-ardu de définir, fût-ce à grandes lignes, les constantes organoleptiques du whisky français. Admettons. Et allons voir chez nos voisins.

C’est du belge ou du scandinave ?

Quel est le goût du whisky belge? En quoi se distingue-t-il du whisky allemand, anglais, australien, indien ou scandinave? Quel est le goût du bourbon, du whisky américain? Je pourrais demander feignassement à ChatGPT, mais c’est à vous, amis amateurs, que je m’adresse.

Saluons l’effort des autorités états-uniennes, qui ont méchamment planché pour vous fournir des éléments de réponse, gravés dans les standards of identity for distilled spirits : « Le whisky ou whiskey […] doit avoir le goût, les arômes et les caractéristiques généralement attribués au whisky. » Bim. Il serait tentant d’ironiser, mais cette évidence a pourtant façonné une identité réelle, qui au premier nez, à la première gorgée, sépare un bourbon d’un scotch.

Et à propos de scotch, quelle « unité de goût » percevez-vous entre la tourbe massive d’Ardbeg, le fruité léger de Glenlivet, les sherry casks de Macallan, les jus carnés de Mortlach, la finesse herbacée d’Aultmore, la trame de grain d’Arbikie?

La précision d’une promesse électorale

Le dossier technique du whisky écossais nous donne quelques menus indices: « Il existe une large palette d’arômes et de saveurs dans chaque whisky écossais, allant par exemple des notes légères et légèrement piquantes du whisky de grain relativement jeune aux notes riches, fruitées et onctueuses d’un whisky de malt vieilli. Certains whiskies écossais de malt, élaborés à partir d’orge maltée séchée sur un feu de tourbe, peuvent présenter des arômes tourbés distinctifs. »

En résumé: le whisky de grain écossais est léger, le single malt, riche, fruité, onctueux, sauf lorsqu’il est tourbé, auquel cas il développe des notes de… tourbe – bingo –, et entre les deux tout est possible. On n’est jamais trop précis.

Quel est le goût du whisky irlandais? Ou du whisky japonais – qu’à l’aveugle quasi tout le monde prend pour du scotch? Comme il est difficile de nommer les choses quand on veut les ranger de force dans des boîtes bien étiquetées.

Concours de poésie administrative

Les Ecossais sont des poètes, mais rien n’égale les envolées lyriques irlandaises. Le whisky Irish, « réputé pour sa légèreté », présente ainsi « une grande complexité, ainsi qu’une douceur soyeuse », nous apprend le cahier des charges de son Indication géographique (IG), qui récite aussi sec toute la roue des arômes histoire de n’oublier personne: « Il est généralement rond, doux et moelleux avec une palette de saveurs qui peut inclure des notes fruitées, miellées, florales et boisées. » Qui « peut » inclure – ou pas –, c’est comme vous le sentez.

Dans son projet d’IG, le whisky anglais se signale par « ses arômes dérivés des matières premières et du vieillissement en fûts », en jouant cartes sur table: « Toutefois, les whiskies produits dans différentes distilleries posséderont des caractéristiques différentes. » Bref, il aura tel goût sauf quand il en sera autrement. La Palice was english, mark my words.

« Par rapport aux whiskies plus traditionnels », le cahier des charges de l’IG whisky gallois relève que ce dernier « met en valeur des profils aromatiques contemporains et intéressants » [note à ceux qui pensent que l’adjectif « intéressant » s’utilise commodément quand on ne sait pas quoi dire d’un whisky: tout à fait].

Je lui trouve un nez très « Nouveau Monde »

Plus sérieusement, il est décrit « comme un whisky de style Nouveau Monde, reconnu pour sa légèreté », ayant pour caractéristiques communes « un style léger et délicat, complexe et équilibré, onctueux, franc, doux, fruité, moins gras, moins texturé et moins terreux que les whiskies plus traditionnels ». Bien, bien. Au fait, à partir de quand quitte-t-on le Nouveau Monde pour la Tradition – cf le Japon?

Bref. Tant que le whisky français aura « le goût du whisky », ce merveilleux mystère sur lequel nul ne parvient à poser les mots justes mais que tous reconnaissent, sa diversité de styles ne devrait pas poser de problème. Bien au contraire, si on en croit l’exemple de ses glorieux aînés.

Leave a Reply

Inscrivez-vous à notre newsletter