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L’IG whisky de France avance par embardées, et il n’est pas impossible que le cahier des charges soit homologué avant la fin de l’année. Mais elle pourrait se révéler beaucoup plus contraignante qu’attendu, au risque de faire grincer des molaires nombre de producteurs. On fait le point?

Trois ans qu’on leur fait miroiter que, bientôt, le whisky français sera garanti made in Hexagone, alors forcément les amateurs s’impatientent. Rappelons que pour l’heure seules les bouteilles estampillées whisky de Bretagne ou d’Alsace, régions protégées depuis dix ans par une Indication géographique (IG), vous immunisent contre la glorieuse incertitude de l’origine – on trouve du « whisky cévenol » fabriqué en Normandie, du « whisky celtique » multi-provenance et, jusqu’à son dépôt de bilan récent, un « whisky du Languedoc » piochait hors de nos frontières.

Alors? Le dossier vers une IG « whisky français » avance, les ébauches de cahier des charges suivant les allers-retours convenus entre la Fédération du Whisky de France et l’INAO (Institut national de l’origine et de la qualité). Mais dans la coulisse, nombre de producteurs commencent à pester contre les exigences de l’Institut.

« L’INAO est une vieille dame difficile à bouger, constate Christian Bec, cofondateur de Twelve et président de la Fédé. Au début elle ne demandait rien, puis elle s’est mise à exiger davantage à chaque fois qu’on lui accordait gain de cause. » Moyennant quoi, certains commencent à se demander si le dossier ne ferait pas mieux de capoter.

L’art de se tirer une balle dans le pied

« L’INAO est le prototype de la France qui aime se tirer une balle dans le pied à force d’empiler les normes et les critères, qui semblent parfois arbitraires, peste un des pionniers du whisky français. Toutes les IG, partout dans le monde, restent vagues et générale mais, nous, on va nous obliger à définir des niveaux de détails dingues: taille restreinte des alambics, degré de coulage, taux de substances volatiles de l’assemblage, finishes… » Bref, on coupe les cheveux d’un chauve en 4.

« L’INAO a sans doute un niveau d’exigence supérieur à ce que l’on peut voir dans les IG hors France, justifie François Viguier, qui pilote le dossier technique à la Fédé. Et on peut le comprendre, car derrière l’INAO, il y a des appellations françaises mondialement reconnues, avec des garanties de qualité. » Certes. Mais une IG n’est pas une AOC, supposée blinder le carcan pour vous empêcher de bouger 2 oreilles en même temps.

Au fait, de quelles exigences parle-t-on? François Viguier les énumère. A l’instant T, l’INAO a obtenu sans résistance que le whisky français soit élaboré à 90% à base d’orge française – aucune malterie n’est en mesure de garantir une origine à 100% – hors whiskies tourbés. L’Institut pousse pour que le maltage ait lieu en France, mais la Fédé « n’est pas alignée sur cette demande ». #LOL

Deux classes de whiskies français

En revanche, la Fédération a validé deux autres exigences: limiter la taille des alambics, au risque d’empêcher à l’avenir l’arrivée de grosses distilleries, et le TAV à la sortie. Les colonnes en continu ne pourront avaler plus de 500 hectolitres d’alcool pur (HLAP) par 24 heures ni distiller à plus de 93,8%, et les alambics en discontinu ne devront pas dépasser 120 hl de capacité et ni cracher à plus de 88%.

L’INAO pousse à définir 2 classes de whisky français pour faciliter la compréhension de la catégorie. Celle des malts rassemblerait la production à base d’orge maltée distillée en discontinu, soit les single malts, doubles malts, triples malts… Et celle des non-malts engloberait les whiskies de grain et ceux de malt produits en colonne.

Sur le modèle irlandais, les producteurs ne seront pas tenus de mentionner à quelle classe appartient leur whisky (quand il s’agit d’un blend, nos amis de la Verte Erin ne le précisent jamais).

La dernière exigence – hautement fondée – concerne le vieillissement, qui ne pourra s’effectuer qu’en fûts de bois neufs ou ayant contenu une autre boisson alcoolique. Ce qui élimine de facto les maturations WTF en barriques de sirop d’érable, de grains de café, fèves de cacao, etc, dont la DGCCRF considère qu’elles altèrent vicelardement le whisky par transfert d’arômes et/ou édulcoration déguisée.

Vers une définition du finish

Enfin, l’ultime coup de pression en date concerne les finishes, que l’INAO aimerait border par une durée minimale/maximale et un type de fût (first fill ou refill). [Note perso: j’abonde.] Il s’agirait là d’une première dans l’univers mondial du whisky, puisque les maturations secondaires ne font nulle part l’objet d’une définition.

David Roussier nous ramène illico aux considérations prosaïques: « Tout ce qui est écrit dans un cahier des charges doit ensuite être contrôlé dans la distillerie par un organisme certifié type Veritas, et la DGCCRF peut repasser derrière, avertit le patron de Warenghem. Alors plus la liste s’allonge, plus ça risque de partir en cacahuète. »

Il existait d’autres voies pour définir le whisky français, remarque Philippe Jugé, auteur du Whisky pour les Nuls et initiateur de la Fédération. « Un, il était possible de créer une marque collective autour d’un cahier des charges: c’est le principe du Label rouge. Deux, on pouvait passer par un décret d’étiquetage établissant des critères pour revendiquer une origine. Trois, on montait une interprofession, et plus particulièrement une interprofession étendue, apte à recevoir une délégation de service public: c’est le modèle du BNIC dans le cognac. Quatre, l’IG. »

Derrière le choix de l’IG, celui de l’INAO

La question préalable était: quel est le meilleur moyen de protéger le whisky français?, rappelle Dominique Ribereau-Gayon, patron de l’embouteilleur indépendant Jean Boyer, monsieur IG à la Fédé. « La Fédération a opté pour l’IG, adossée à l’INAO. En cas de problème, c’est l’INAO nous défend, qui entame les actions. En outre, l’IG est automatiquement reconnue par l’UE, ce qui n’est pas neutre sur le plan commercial. »

Alexandre Sirech ignore le tamis de la langue de bois. « L’IG, je n’y crois pas, je n’y ai jamais cru, lâche le patron multi-marques des Bienheureux (Bellevoye, Lefort, Beauchamp, Bercloux). L’UE a d’ailleurs fort peu de chances de la valider, car la France c’est trop gros. C’est un corset anti-innovation, et je ne voulais pas qu’on me dise comment faire mon whisky. Moi, je poussais pour un label. Le mot “whisky” est déjà défini par l’Union européenne, il suffisait d’imposer en plus une origine France des céréales – ça, j’y tiens. »

Aujourd’hui, certains producteurs se disent à voix basse que Sirech n’avait pas tort, et qu’il est encore temps de réduire le braquet dans la côte pour s’affranchir de l’INAO. « On pourrait réfléchir à l’idée d’une marque collective, il n’est pas trop tard », me disent en substance deux importants producteurs.

Les Écossais en embuscade

Calmons-nous, les crabes, même si la mer monte! Dominique Ribereau-Gayon, qui a siégé pendant 5 ans à l’INAO, met les incompréhensions sur le dos de… la traduction. « L’INAO se montre très ouverte, mais parle un langage technocratique et moins pragmatique que les producteurs. Pour faire aboutir une IG, il faut suivre une procédure très formatée – en 2015, des wagons d’IG sont passés dans l’urgence, mais c’est fini! Ça ne peut pas être uniquement une origine France, insiste-t-il. Il faut définir en quoi le whisky français se distingue des autres, au-delà de son origine. »

Traduire (décidément…): caractériser les profils. « Mais c’est impossible, se lamente Olivier Dumont, en charge de la production chez les Bienheureux, à qui Alexandre Sirech a délégué son pouvoir. C’est comme si on demandait de caractériser un vin rouge de France! Il existe une vraie diversité dans le whisky français, à nous d’être convaincants pour ne pas nous laisser enfermer dans des catégories trop restrictives. »

Toujours dans le souci de « caractériser » le profil du whisky français, l’Institut discute d’un taux de substances volatiles – un TNA  – supérieur à 100g/HLAP après vieillissement. Ce que ne valide pas la Fédération pour l’instant.

Si les derniers points de friction sont levés, le cahier des charges du whisky de France pourrait aboutir à une version arrêtée avant fin 2025. Il sera ensuite soumis à une procédure nationale d’opposition, où chacun pourra le critiquer. Nos amis écossais de la SWA, qui viennent de semer le dawa dans l’IG whisky anglais, ont déjà fait savoir par écrit qu’ils « aimeraient en savoir davantage sur cette IG française ». Hé! Hé! On n’a pas fini de rire.

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