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Alors que des milliers d’amateurs s’apprêtent à converger ce week-end vers l’île d’Islay pour le Fèis Isle, intéressons-nous d’un peu plus près aux tourbières, et à l’impérieuse nécessité de les protéger… sans renoncer au whisky.

Profitons du pèlerinage annuel vers la Mecque du whisky tourbé pour faire des vagues dans le peat bog. Depuis une vingtaine d’années, le grand public découvre le rôle crucial des tourbières dans l’atténuation du changement climatique. Redoutables puits de carbone, ces milieux saturés d’eau forment en effet l’écosystème terrestre le plus efficace pour stocker du CO2 puisqu’ils en séquestrent deux fois plus que les forêts. Eh oui. Bien que couvrant 3% seulement de la surface émergée du globe, les tourbières représentent un tiers du carbone stocké dans les sols et la moitié du carbone atmosphérique.

Malheureusement, ces écosystèmes rares, fragiles et très longs à se reconstituer sont menacés de toute part : par l’extraction bien sûr, mais aussi l’urbanisation, la pollution, le réchauffement climatique ou le drainage à des fins agricoles – et on peut se demander si cultiver de l’orge sur Islay est vraiment une bonne idée.

Non, ne reposez pas votre verre de Laphroaig ! Du calme, pas d’acte inconsidéré dans la précipitation. Le plus gros consommateur de tourbe, et de très, très loin, est l’horticulture. Vous faites plus de mal à la planète en rempotant vos bégonias qu’en sifflant du whisky – veillez donc à acheter du terreau sans tourbe à l’avenir, svp.

Difficile cependant de produire un état des lieux fiable. Les données sont compliquées à recouper : la plupart des ONG raisonnent en termes de surfaces de tourbières, les industries extractrices en mètres cubes prélevés, et les industries consommatrices en tonnage. Avec un mètre cube de tourbe récoltée sur 1 m de profondeur, combien de bouteilles de Bowmore peut-on distiller par beau temps ? Vous avez 15 mn et merci de ne pas compter pas sur moi, suis pas fichue de diviser une addition par 3 au resto, même en faisant sauter la virgule.

Encore la faute du 1% !

En Grande-Bretagne, selon les derniers chiffres officiels (publiés en… 2014), l’industrie du scotch prélevait moins de 1% des extractions annuelles de tourbe, soit environ 7.000 t. Cependant, entre le boom des nouvelles distilleries et surtout l’extension de bon nombre des anciennes, la capacité de production a considérablement augmenté, et l’industrie du maltage a suivi. Les experts penchent donc plutôt pour des extractions proches de 3% actuellement.

Alors, certes, 1% à 3%, cela semble peu. Mais cela reste énorme pour déséquilibrer un écosystème fragile. Depuis 1945, la France a ainsi perdu la moitié de ses tourbières – elles couvrent aujourd’hui 0,2% du territoire (contre 20% de l’Ecosse). Dans le Cotentin, Beaupte, la plus importante tourbière de France, exploitée pour un usage horticole, doit arrêter les frais en 2026 et être remise en eau, selon les exigences de l’Accord de Paris (2015).

Il y a urgence. Car une tourbière en mauvais état, au lieu de séquestrer du carbone, en rejette. En Ecosse, le gouvernement s’est engagé à restaurer 250.000 ha de tourbières dégradées d’ici à 2030. La Scotch Whisky Association (SWA), qui monte en première ligne sur les questions de développement durable depuis quelques années, a publié l’été dernier ses engagements pour un usage responsable de la tourbe, avant une road map prévue pour 2025.

Trois axes ressortent. 1) Encourager l’extraction modérée ; 2) optimiser les procédés de maltage afin de minimiser les quantités prélevées et de réduire les émissions ; 3) protéger et restaurer les tourbières.

Sur le deuxième point, les recherches avancent doublement, en labo pour mieux appréhender les différents composés chimiques responsables des arômes tourbés, et en ingénierie pour améliorer la production de fumée, clé dans le maltage phénolique, et pour réduire les pertes de congénères pendant cette étape.

Highland Park réduit la tourbe, mais pas les ppm

Highland Park, dans les îles Orcades, a ainsi diminué de plus de moitié la quantité de tourbe prélevée à Hobbister Moor, à 10 km de la distillerie, passant de 350 à 150 t par an en modifiant ses opérations de kilning – ici, le malt tourbé est séché maison. Comme d’autres acteurs importants de l’industrie du scotch – Lagavulin ou encore Suntory et son Peatland Water Sanctuary, parmi les derniers à prendre la parole sur le sujet –, Highland Park s’est engagée dans la restauration et la préservation des tourbières.

Car, malheureusement, en France comme en Ecosse, plus de 80% des tourbières sont dégradées. L’enjeu immédiat, inutile de le préciser mais précisons-le quand même, ne concerne pas la fixation du carbone : à raison d’un mètre de tourbe formé par millénaire, la planète aura disparu 10 fois, mieux vaut encore planter des arbres. Non, il s’agit avant tout d’éviter le relargage des quantités monstres de carbone accumulées dans ces sédiments humides. En attendant, doucement sur la bouteille de single malt tourbé, faites durer le plaisir : vous ne regarderez plus les ppm comme avant.

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