La maison Suntory dévoile le plus vieux compte d’âge de son blend iconique. Une symphonie rare dont son compositeur, le chief blender Shinji Fukuyo, raconte la genèse et les secrets.
Vulnerant omnes ultima necat. « Toutes blessent, la dernière tue », inscrivait-on jadis sur les cadrans solaires pour rappeler l’inexorable fuite des heures qui s’égrènent, qui passent et nous emportent. Mais, loin de cette conception linéaire du temps somme toute très occidentale, la culture et la philosophie japonaises insistent au contraire sur sa nature cyclique, sur l’instant. Sur ces rives lointaines, on préfère croire à l’impermanence, à la fugacité des choses, au caractère éphémère des saisons – le calendrier nippon en découpe 24 –, à l’imperfection passagère de la beauté.
On mesure mieux dans ce contexte le défi d’assembler un whisky japonais âgé de 40 ans – et pas n’importe quel whisky : Hibiki, dont le nom signifie « résonance ». Quand la première édition du blend iconique de Suntory est révélée en 1989, elle trace déjà les lignes qui l’inscriront parmi la noblesse de l’assemblage : harmonie, équilibre, finesse.
Comment dès lors y ajouter l’ingrédient de la permanence et la patine des décennies sans en altérer l’essence ? En fusionnant la précision de la science et de la technique sans lesquelles il n’est point d’art. De passage à Paris, le chief blender de Suntory, Shinji Fukuyo, soulevait le coin du voile chez Ogata, au lendemain du 20e Whisky Live.
« Le single malt japonais atteint son apogée entre 12-15 ans et 18-25 ans, et à un âge plus jeune encore pour le whisky de grain, remarque-t-il. Assembler un whisky plus âgé relève du défi, car le risque de sur-maturation est immense. C’est d’autant plus vrai pour Hibiki, qui se définit par son élégance florale et fruitée. Cela nous oblige à écarter les fûts qui auraient pu entrer dans le compte d’âge mais ont développé des arômes “antiques”, de vieux chai. »
Hibiki, une priorité stratégique
Les barriques de vieux whiskies bénéficient de toutes les attentions, et l’on se remémore avec émotion la dégustation du Yamazaki 55 ans. « Mais chez Suntory, Hibiki a toujours la priorité sur les single malts. Nous repérons les fûts possédant un potentiel de long vieillissement, et ils sont entreposés dans un chai plus frais pour limiter l’évaporation. »
Ces barriques font l’objet de pré-assemblages (on parlerait en France d’ouillage), pour les maintenir aussi pleines que possible afin de limiter les poches d’air et l’oxydation, le whisky se voyant alors ré-entonné dans de plus grands fûts fatigués.
« Nous ne laissons jamais vieillir les vieux whiskies pendant des décennies en barils, souligne Shinji Fukuyo. Ils finissent toujours leur vie en puncheons ou en butts de 500 l dont le bois n’est plus très actif, afin de ne pas marquer exagérément le liquide. »
L’autre embûche, relève-t-il aussitôt, réside dans la pénurie de vieux whiskies de grain japonais. « Ils sont bien plus rares que les single malts car nous les utilisons jeunes et en immenses quantités pour les blends réservés au marché national. »
A partir de 35 ans, les whiskies sont surveillés de très près. Quand ils atteignent leur apogée, cette plénitude dont on n’a la certitude qu’au moment précis où elle s’enfuit, ils sont logés en dame-jeanne de verre, et le temps s’arrête net sur ce compte d’âge. « On peut ainsi les conserver pour les utiliser plus tard dans un futur assemblage », reprend le chief blender.
Pour composer la symphonie d’Hibiki 40 ans, Shinji Fukuyo a assemblé 5 types de whiskies : des single malts de Yamazaki mûris en fûts de chêne américain, des single malts d’Hakushu à peine tourbés, des whiskies de grain de Chita, auxquels s’ajoutent un fût unique de Yamazaki vieilli sous chêne espagnol et un autre maturé en mizunara.
Dégustation dans la diagonale du temps
On pourrait s’attarder sur la poésie de la dégustation, ses notes de citron confit, de poussière de chêne, de feuilles de figuiers, ses touches de fèves de cacao torréfiées, la fugacité des encens de santal délicats.
Mais Shinji Fukuyo choisit la diagonale pour parler de son œuvre : « Quand, le temps passant, les bouddhas dans les temples perdent l’éclat de leurs feuilles d’or, ils révèlent une autre beauté, plus profonde : c’est ce que m’évoque Hibiki 40 ans. J’aimerais que les gens ressentent la sérénité, l’élégance qu’il exprime. »
Il s’agit bien sûr d’une cuvée limitée, 400 flacons de cristal à 30 facettes ornés de motifs floraux, lovés dans un coffret de bois confectionné à partir de 12 essences. Le prix ? On ne compte pas les saisons de l’infini. « L’année dernière, nous avons fêté le centenaire de la distillerie Yamazaki. Suntory ouvre à présent un nouveau cycle, pour créer des whiskies uniques et se challenger. Le prochain Hibiki 40 ans, c’est peut-être mon successeur qui la composera », sourit le vénérable maître assembleur.
Sachez en consolation que Hibiki entend combler les trous dans le compas des âges de sa gamme, où le 21 ans succède au NAS Harmony. « Nous allons faire revenir le 12 ans et le 17 ans », promet Shinji Fukuyo. Patience, encore un peu de temps.
- Hibiki 40 ans, 70 cl, 43%, 38.250 €, 400 coffrets disponibles.