Le plus grand salon de dégustation, qui fêtait sa 20e édition, vient de refermer ses portes lundi. Snif. On débriefe ? Allez.
Heureuse coïncidence, les deux événements partageaient leur terrain de jeu, puisque le coup d’envoi du 20e WLP fut en réalité donné la veille, le vendredi, sur une tour Eiffel dépouillée de ses anneaux olympiques le matin même. A la nuit tombante, tandis que je vivais mon moment Céline Dion (sans la robe blanche à paillettes) perchée sur la vieille dame de fer, les organisateurs des premiers Worlds Drinks Awards France remettaient force médailles au whisky et au gin français.
Le lendemain, c’est le Club France, pardon : la Grande Halle de la Villette – la même flamme moins les phryges et les athlètes, mais les bouteilles en sus – qui était pris d’assaut avec une ferveur déjouant les sombres pronostics d’une période en berne. Vous étiez plus de 13.400 amateurs de fines gnôles à franchir ses portes les samedi et dimanche (contre un peu moins de 12.000 l’année précédente), et quelque 9.000 pro à écumer les travées le lundi. Vous êtes géniaux, je ne vous le répète pas assez.
La crise ? Quelle crise ?
« On n’avait pas le sentiment qu’on traverse une crise », résume Thierry Bénitah, patron de La Maison du Whisky et du WLP, qui avant l’événement insistait sur le contexte. Même le bilan des ventes dans la boutique exilée sous un barnum à l’extérieur incitent à l’optimisme : « On a explosé les compteurs. C’est un signal très positif », remarque-t-il.
Sur les stands, côté exposants, la foule a mis du baume au cœur : « Cela fait plaisir de voir autant de monde, se réjouit Loig Le Lay à la Distillerie des Menhirs. Les ventes tournent au ralenti mais les consommateurs ne sont pas loin, ils ne se sont pas détournés du whisky. » Même son de cloche chez Ninkasi, chez les calvados Roger Groult, les armagnacs Dartigalongue…
« En déportant le vestiaire et la boutique à l’extérieur, on a gagné 1.500 m2, détaille Thierry Bénitah. On ne se rend pas compte à quel point c’est énorme. » La reconfiguration du plateau autour de 2 allées centrales a en outre fluidifié la circulation – et évité les stands coincés entre les toilettes et l’escalier.
Ah oui, cette crise !
On percevait pourtant les arbitrages, entre les marques qui réduisent la voilure et renoncent à exposer et celles qui estiment au contraire que c’est pendant les crises qu’il faut investir et travailler sa notoriété. Quelque 220 stands pour 350 marques, contre respectivement 260 et 360 en 2023, jalonnaient la Grande Halle.
Un chiffre en trompe-l’œil puisque nombre de stands accroissaient leur surface : 48 m2 pour Pernod Ricard (Scapa, Glenlivet, Aberlour), 3 exposants sur 36 m2 (2 en 2023), 13 sur 24 m2 (9 en 2023), 20 sur 20 m2 (vs 13)…
Un absent de taille, Macallan, qui célébrait cette année son 200e anniversaire – mais je les comprends : à chaque fois que je franchis une dizaine, moi aussi je préfère rester devant la télé, surtout quand les bougies coûtent plus cher que le gâteau. Les amateurs de gros sherry se sont reportés en majesté sur Dalmore, Glendronach, Glenfarclas.
Enorme présence de Diageo (Lagavulin, Talisker, Cardhu, Caol Ila, The Singleton), qui préemptait en outre une bonne partie de l’espace VIP… La foule plutôt jeune amassée sans faiblir au stand Johnnie Walker Blue Label m’a d’ailleurs interpellée : je chercherai à en tirer une leçon dès que j’aurais récupéré l’usage de mes neurones solubles dans le Whisky Live.
D’un continent à l’autre, le ressenti diffère pourtant. Une obsession traversait l’Ecosse : Whisky Loch ou pas Whisky Loch ? Et la plupart des acteurs fichent leur billet sur la crise de surproduction qui se profile à grands pas. On en reparle bientôt.
L’autre refrain en boucle sur les stands : les prix. Marques et distilleries ont enfin compris la nécessité de se mettre au niveau de nos portefeuilles, et nombreuses sont celles qui repositionnent leur gamme dans cette direction. « Le gros des ventes cavistes se fait dans la fourchette 49-59€, reconnaît Thierry Bénitah. Plutôt à moins de 50€, et si possible à moins de 40€. A 59€, il faut vraiment un superbe whisky avec un packaging top. » On en reparle bientôt également.
Sur l’îlot Irlande, Mark Reynier, le boss de Waterford, soulignait combien il est aujourd’hui difficile et extrêmement coûteux d’installer une jeune distillerie dans le paysage : « Ce que nous avons fait avec la relance de Bruichladdich il y a plus de vingt ans, on ne pourrait pas le refaire de nos jours. Il faut beaucoup plus de temps, beaucoup plus d’argent, c’est terriblement difficile. »
Des raisons d’y croire
Sur les stands Etats-Unis, on perçoit en revanche la volonté de sortir d’un marché national qui commence à saturer pour aller à la rencontre de l’Europe avec des produits plus pointus. « On sent un intérêt pour le whisky américain, avec un regard qui a changé, qui nous place désormais à l’égal du scotch », commente Stephen Beam, master distiller de Yellowstone, tout en soulignant l’émergence des single malts états-uniens.
Côté whisky français, on continue à y croire. Plus que jamais. Sur un marché du whisky globalement en baisse carabinée, c’est, avec le whisky japonais qui reste sur une belle dynamique, la seule catégorie qui continue sa progression. En partie grâce au soutien de cavistes motivés et de la belle flambée en grande distribution.
Moyennant quoi, jamais les exposants n’avaient été aussi nombreux, avec une jolie brochette de petits nouveaux et des stands personnalisés, souvent plus grands. « Le whisky français se vend beaucoup plus en boutique, et très peu sur internet, remarque Thierry Bénitah. Signe qu’il a besoin de prescripteurs pour le pousser. »
Plusieurs distilleries françaises me confiaient avoir profité d’un dimanche plus calme après la folie sans nom du samedi pour échanger, et envisager d’unir leurs forces, de prendre la parole ensemble ne serait-ce qu’à l’export. Excellente idée.
Il n’y a pas que le whisky dans la vie (really ?)
On a pris l’habitude, au WLP, d’observer l’intérêt pour les « spiritueux français patrimoniaux », armagnac, calvados, cognac, eaux-de-vie de fruits… Mais cette année c’est le cognac qui crée la hype – oui, vous avez bien lu « cognac » et « hype » dans une même phrase.
Alors que la star des eaux-de-vie charentaise prend le bouillon sur ses 2 principaux marchés (Chine et USA), elle commence à titiller l’intérêt des amateurs de single malts avec des sélections âgées, pointues et livrées avec un supplément de degrés… à des tarifs très inférieurs au whisky désormais. Grosperrin, Vallein Tercinier, Pasquet & Co ont royalement tiré leur épingle du jeu – j’ai d’ailleurs du mal à comprendre pourquoi les Cognaçais ne viennent pas davantage en force au WLP.
« C’est un poil surréaliste pour nous tous, avouait Guilhem Grosperrin, qui fêtait le 25e anniversaire de son premier embouteillage, dans un commentaire sur Facebook au lendemain du WLP. C’est intéressant de voir combien le cognac peut intéresser les gens maintenant. Et dire qu’il y a quinze ans nous aurions eu du mal à vider ne serait-ce qu’une seule bouteille lors d’un salon tel que celui-ci ! »
Le nouveau Patio des Agaves, en revanche, n’a pas fait dérailler le « Live ». « C’est normal, répond Thierry Bénitah. Ce n’est que la première année, il faut creuser à présent. La catégorie n’a pas encore de profondeur en France, il faut aller chercher davantage d’acteurs, plus pointus. »
Sur la Rhum Gallery, la marge de progression est là aussi énorme, avec un éparpillement des stands qui ne demande qu’à se combler. Bon, je vous aurais bien parlé de la Gin Lane, mais je ne l’ai pas trouvée – notez bien que j’arrive à me perdre dans un couloir rectiligne et que je fais 3 fois le tour de la Halle pour trouver le vestiaire.
Et à part ça ?
Délirant succès de la Cocktail Street, malgré le risque élevé d’y perdre a minima un tympan : 30.000 visiteurs (certains comptabilisés dans les entrées WLP, attention) et 76.000 drinks servis en trois jours. OK, vous êtes géniaux, mais un peu dingues, non ?
Hallucinant carton de l’espace VIP, le cœur nucléaire du WLP, qui augmentait d’un tiers sa surface et proposait 1.000 billets d’entrée supplémentaires (sold out) à la vente. L’enthousiasme pour les sélections pointues, le négoce, les single casks souligne en creux les attentes des amateurs connaisseurs.
Moins de liquides WTF qui vous font lâcher le verre sur un malentendu pour créer le buzz, cette année – hormis un Kyrö laissé à suer au sauna, un FEW réduit au thé oolong…
Les master classes et tables rondes ont pour la plupart fait le plein, révélant la demande de pédagogie, de transparence, et la curiosité insatiable du public. Le format table ronde, détaché de la communication des marques et de la dégustation commentée, se montre en particulier plein de promesses. Mention spéciale à celle animée par Serge Valentin, avec Sukhinder Singh et Angus MacRaild lâchés sur les collectors.
Celles et ceux qui, comme moi, ont terminé l’expérience par un passage vers les food trucks ont apprécié la transition en douceur vers le retour à la dure vie réelle : à vous faire regretter le triangle Sodebo sur une aire d’autoroute. L’année prochaine, j’apporte mon sandwich, et on se retrouve, même endroit, mêmes dates ? La Grande Halle est déjà réservée, me dit-on. Oh yeah.