Au moment où la distillerie jamaïcaine enrichit sa gamme permanente d’une nouvelle référence, Hampden 1753, il est temps de partager un secret bien gardé: la recette du rum cake tel qu’on le prépare dans le Trewlany. Attention, gardez-vous de prendre la route après la première tranche: l’éthylotest vous le déconseille.
La visite de la distillerie m’avait laissée sous le choc, l’esprit enivré et les yeux qui dessinaient des cœurs dans le vide. Hampden aux premiers jours de décembre, sous un ciel lumineux rincé par les averses: on ne se remet jamais tout à fait de la commotion.
Histoire de recaler tout le monde d’équerre, Andrew Hussey, le directeur, nous avait installés sous les arbres derrière la sublime Great House familiale, déballant sur les tables en fer forgé déjà armées de verres les samples tirés au bec des alambics à double retort et au cul des fûts.
C’est à ce moment précis que fut présenté le rum cake fait maison. Nom de Zeus! L’explosion d’esters sous les narines, et cette texture de baba fondante, concentré de bonheur spongieux d’où s’échappaient les coulées de rhum Hampden.
A chaque bouchée, un monde meilleur se rapprochait quelque part, et j’étais prête à enfourcher à cru une licorne au galop pour partir le chercher à tâtons. J’appris plus tard que l’élaboration d’un seul rhum cake vous fusillait tranquille plus d’une demi-bouteille de rhum, ceci expliquant sans doute cela.
Les recettes de rum cake, il en existe à foison dans la Caraïbe. Elles pullulent en particulier dans les anciennes possessions britanniques, arrivées au XVIIIe avec les colons anglais, déclinaisons de puddings – les « black cakes » – baignant dans l’alcool, avec ou sans fruits, avec ou sans glaçage… Mais les Jamaïcains l’ont élevé au rang d’œuvre d’art. Au même titre que leur rhum.
Les rhum geeks et les rhum snobs (faites le test pour savoir où vous vous situez sur l’échelle de la vanité rhumesque) ont lancé la hype Hampden avec les high esters – les marks HGML, C<>H (prononcer « Diamond Continental ») et surtout DOK (entre 1.500 et 1600 g d’esters, yippee-ki-yay motherf***er!), portés par les maisons de négoce.
Mais on aurait tort de résumer la distillerie matrice de la Jamaïque à ces bestiaux hors normes. On découvrira d’ailleurs en ce mois de mars la nouvelle référence permanente Hampden 1753, un mark HLCF typique de la distillerie, embouteillé à 3 ans et à 46%, moins de 60€: abordable, terriblement séducteur, apaisé en voltage sans rien céder à son caractère et à sa puissance. Oui, je préfère les rhums qui se dégustent à ceux qui se sniffent au risque de vous pulvériser la calebasse.
Au moment de quitter Hampden – on n’en part jamais tout à fait, comme vous le constatez –, Ruth Hussey, la mère d’Andrew, nous avait distribué à tous un rum cake fait maison, emmailloté de film alimentaire dans une boîte ronde en métal. Avec – le vrai cadeau – la recette de famille. La voici.
Il vous faut:
– 4 œufs + 3 jaunes
– 12 cl de rhum Hampden
– 3 cc d’extrait naturel de vanille
– 350 g de farine
– 160 g de sucre non raffiné
– 220 g de sucre en poudre
– 2 cc de levure chimique
– 1/2 cc de sel
– 250 g de beurre ramolli
Pour le sirop:
– 3 cl d’eau
– 40 g de sucre en poudre
– 120 g de beurre
– 30 cl de rhum Hampden
Préchauffez le four à 160° C. A l’aide d’un fouet, mélangez dans un grand bol les œufs, les jaunes, la vanille et le rhum. Réservez.
Dans un autre récipient, versez la farine, les sucres, le sel, la levure et passez quelques secondes au mixeur à vitesse lente. Une parenthèse sur le sucre non raffiné (à ne pas confondre avec le banal sucre roux): choisissez un sucre issu de la canne, qui ajoutera au gâteau les indispensables notes de mélasse, de réglisse qui s’accordent si bien au rhum. A chaque virée à Londres, je fais le plein de sucre noir humide, au Waitrose en face de la gare St Pancras: un jour, les douaniers vont se demander ce que je fiche avec 5 kg de poudre dans mon sac… Fermons la parenthèse.
Ajoutez à cette pâte un peu sableuse le beurre ramolli coupé en cubes, mixez de nouveau à vitesse lente. Raclez le fond du récipient, mélangez bien. Ajoutez un tiers de la préparation liquide au rhum, mixez – toujours à vitesse lente: rien ne sert de hâter l’horloge, les fûts dans les chais vous le diraient.
Ajoutez un autre tiers de la préparation liquide, mixez. Puis le dernier tiers, mixez de nouveau jusqu’à obtention d’une pâte bien fluide. Raclez le fond à la spatule pour tout mélanger sans en rater une cuillère.
Versez la pâte dans un moule à kouglof ou à savarin beurré. Enfournez 65 à 70 mn: la lame d’une pique plantée dans le cœur (du gâteau – ne déconnez pas!) doit en ressortir propre.
Démoulez délicatement le cake. Laissez-le refroidir sur une grille. (Vous pouvez même le planquer hors de portée de doigts gourmands jusqu’au lendemain.)
Le sirop à présent. Dans une casserole, faites fondre le beurre à feu doux. Ajoutez le sucre et l’eau, portez gentiment à ébullition, puis laissez frémir 5 à 7 mn, en remuant de temps en temps, jusqu’à ce que le mélange épaississe légèrement. Hors du feu, ajoutez le rhum, mélangez, réservez.
Vous voici prêt à copieusement napper la bête de sirop de rhum. Commencez par piquer ici et là le cul du cake – avec délicatesse, cela va sans dire – à l’aide d’une longue pique en bois (type brochette). Puis replacez le gâteau dans son moule de cuisson: le sirop qui s’écoulera au fond ira imbiber le dessous du rum cake. Croyez-moi, vous ne voulez pas en perdre la moindre goutte.
En Jamaïque, on tapisse le moule de film alimentaire avant d’y remettre le gâteau, afin de mieux l’emmailloter par la suite, et pour le démouler sans qu’il ne se désintègre une fois gorgé de rhum.
Piquez à présent généreusement la surface du cake puis, à la cuillère ou au pinceau, badigeonnez de sirop – toute la casserole doit y passer, ne soyez pas timide. Enveloppez le moule dans du film alimentaire, et laissez reposer plusieurs heures, voire jusqu’au lendemain.
L’opération démoulage du rum cake est toujours périlleuse: divinement gorgé de rhum, il ne demande qu’à s’émietter – d’où l’intérêt d’avoir chemisé le moule de film alimentaire avant le nappage au sirop. Mais cette petite merveille se conserve ensuite une semaine dans une boîte hermétique – encore que, s’il vous dure plus de deux jours, appelez le Guinness des records pour faire homologuer l’exploit.
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