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Whisky, rhum, cognac, armagnac, tequila… En ce début 2025, peu importe les tendances qui animent vos eaux-de-vie favorites. Car ce sont des bouleversements profonds, structurels, que vont devoir prendre en compte l’industrie et les amateurs. Bonne nouvelle: le moment est venu de réinventer la convivialité!

La gueule de bois post-covid qui s’éternise, le Whisky Loch et le lac de Tequila qui se remplissent à torrents, l’intérêt pour les spiritueux asiatiques, le crash de l’investissement dans les fûts de whisky, l’envolée des apéritifs sans alcool, la redécouverte du cognac en France, l’installation du whisky français dans le paysage, le changement de modèle dans l’embouteillage indépendant, les marchés chinois et états-unien en berne… J’en passe, j’en oublie, mais au fond peu importe.

Car en cette rentrée de janvier, pour une fois, oublions le marronnier des « tendances de l’année » (on peut relire ici et ici les deux dernières salves, toujours d’actualité): il y a plus intéressant.

Au-delà des micro-shifts et des cycles qui animent l’industrie des spiritueux moderne dans un mouvement perpétuel depuis pas loin de deux siècles, on voit désormais s’installer d’importants changements structurels. En 2025, la tectonique des plaques bouge. Des mouvements profonds et durables se dessinent, certains bienvenus, d’autres porteurs de défis qui placent la balle et la bouteille dans notre camp.

1 – Les spiritueux, c’est devenu compliqué. Très, très, très

On mesure mal à quel point l’univers des spiritueux s’est complexifié avec la folle démultiplication de l’offre, des origines, des catégories, des producteurs, des positionnements… Prenez le whisky. Longtemps vous aviez le choix entre un bourbon, un irlandais ou un scotch, blend ou single malt. Et encore… Dans les films pré-Bug de l’an 2000, le type (toujours un mec) se pointe au bar, articule « whisky », et siffle d’un trait ce qu’on lui sert – sans photographier la quille pour poster sur son Insta.

En 2025, la scène s’éterniserait jusqu’au ridicule. Whisky mais… single malt? Écossais, japonais, danois, français, indien, [ajoutez ici ce qui vous fait plaisir, bonne année]? Grande distillerie connue ou production artisanale? Sherry bomb ou fûts de bourbon? Un finish original, tequila peut-être? Single cask? Brut de fût? IB ou OB ? Ad lib.

L’amateur de jolis liquides perd rapidement pied, à moins de consacrer son temps et ses loisirs à scroller les pages spécialisées. Mais, paradoxalement, à mesure que geeks et passionnés ont enrichi leurs connaissances, grâce à la disponibilité de l’info via internet et les réseaux sociaux notamment, l’éducation du plus grand nombre n’a cessé de régresser. La pédagogie de base est en panne.

« Sorti des Charentes, personne ne sait ce qu’est le cognac, avec quoi on le fait et encore moins comment », m’avouait candidement un producteur réputé. Grande Champagne? Mais que diantre viennent faire les bulles de champ’ dans le sud-ouest? Fins Bois, Bons Bois, késaco? Et puis, ça veut dire quoi, XO?

Demandez autour de vous quelle est la différence entre le cognac et l’armagnac. Mieux: demandez quelle est la matière première de l’armagnac. Et celle de la fine de Bretagne? Et attendez-vous à des surprises. Je ne vais pas me faire des potes dans les îles, mais 90% des consommateurs n’ont pas le début de la queue d’une idée de ce qu’est un « rhum agricole ». Alors, imaginez le désarroi quand on vous parle de shochu, de baiju, de sotol, de pisco…

L’industrie des spiritueux a délaissé le terrain de la pédagogie. Et le paie durablement au moment où sa raison d’être ne cesse de se complexifier. Dans l’univers du goût, traiter les produits comme de banales marchandises, sans en livrer les clés, ne se fait pas sans risques. Il est temps d’investir dans l’éducation.

2 – Le luxe se découvre une éthique

L’industrie du luxe opère une rapide mutation que nombre de marques de spiritueux, dans cette niche très profitable à destination du 1%, n’anticipent pas: elle s’achète une conscience, s’habille de vertu, s’enrobe d’éthique. Ou du moins le clame, notamment en matière de développement durable, de préservation des ressources et de la nature.

Fini le luxe démonstratif, place au minimalisme, aux valeurs, au service client, et à la qualité sans défaut. L’industrie des spiritueux – et en premier lieu le whisky – peine à le comprendre, alors même que les carafes show off au mauvais goût très sûr et aux logos tapageurs ne trouvent plus preneurs. Par atavisme culturel sans doute, seuls les single malts japonais, et parfois les spiritueux français, manient à merveille des codes de la sobriété (sic) ultra chic. Attendons-nous à ce que la prise de conscience se généralise.

Il n’est pas anodin qu’une distillerie comme Glenmorangie (LVMH) ait allégé le poids de ses bouteilles pour les rendre moins gourmandes en CO2, et travaillé ses nouveaux étuis-coffrets (fort jolis) en 100% carton, totalement recyclables.

3 – Les préoccupations santé s’invitent à la fête

C’est l’un des sujets de préoccupation majeurs chez les géants du secteur: les jeunes générations boudent l’alcool. Pour différentes raisons, qu’on s’en réjouisse ou qu’on le déplore, les spiritueux ont perdu leur image « cool », sur fond de déclin continu de la consommation. Et voilà qu’à présent – ce n’est pas sans lien – les préoccupations bien-être et santé s’installent dans la société.

Dans les pays anglo-saxons, il ne se passe pas une semaine sans que soit publiée une étude liant alcool et cancers, même en cas de consommation modérée. En France, silence – pour l’instant. En ce début janvier, coup de tonnerre aux États-Unis, où l’administrateur de la Santé publique préconise de développer une politique de prévention plus agressive, calquée sur le modèle de la lutte anti-tabac: taxation et limitation de la disponibilité des produits, entraves au marketing, et surtout étiquetage dissuasif.

Dès 2026, l’Irlande deviendra le premier pays occidental à rendre obligatoire sur les boissons alcooliques la mention des dangers de l’alcool sur la santé. Et la question agite déjà (ici ou ici) les éditorialistes outre-Atlantique.

A n’en point douter, Big Booze va lâcher ses lobbyistes pour retarder l’échéance et, comme pour le tabac, trouvera des débouchés dans le Sud global. Mais le combat est d’ores et déjà perdu : la responsabilité s’ancre dans les comportements, dans les mentalités. Et va nous obliger collectivement à redéfinir la place et le rôle des spiritueux plus vite qu’on ne le pense. Ne flippez pas, le goût va retrouver sa place de choix.

4 – La protection des spiritueux se renforce

Bonne nouvelle pour les consommateurs: partout à travers le monde les producteurs s’organisent pour protéger leurs spiritueux nationaux, et renforcer leur cadre légal. Dans le rhum, les discussions sur des Indications géographiques agitent la Barbade, la Jamaïque et Cuba – après le Guatemala et le Guyana (Demerara).

Dans le whisky, les États-Unis viennent de définir officiellement le single malt américain, alors qu’en Inde les producteurs poussent pour obtenir des autorités un standard national.

Au Japon, les discussions se précisent pour upgrader au stade législatif les règles que s’imposent sur la base du volontariat les adhérents de l’Association des producteurs. L’ampleur de la marée de fake commençait à dégrader l’image du malt nippon à l’international. La montée en gamme des spiritueux ne pouvait pas laisser éternellement sur le bord de la route les exigences de qualité et de transparence.

5 – Préparons-nous à l’apocalypse

C’est le défi majeur que doivent affronter les spiritueux – et pas seulement eux, cela va sans dire: le réchauffement climatique. Les géants du secteur, habitués aux planifications sur 50 ans, planchent sur des scénarios, certains à horizon 2050, autant dire demain.

Cette industrie vorace en ressources limitées – eau (lire ici), matières agricoles, énergie… –, polluante et lourdement carbonée, a entamé un processus d’adaptation ambitieux et nécessaire.

Mais, même en se concentrant sur le verre à moitié plein, le scénario « Apocalypse Express » publié en open source par Pernod Ricard dans ses réflexions face à l’urgence climatique vous colle des suées.

D’abord parce qu’il lie avec beaucoup de justesse les questions économiques, sociale et sociétales à la problématique environnementale – Pernod Ricard, ce repaire de wokes. En résumé? Si rien ne change dans nos comportements, les distilleries auront bientôt disparu, et ce sera le moindre de nos soucis. Je vous invite à lire ce brutal constat.

Pour se remonter le moral, voir ensuite le scénario « Eco-harmonie »: celui qui demande qu’on se retrousse les manches sans attendre de finir notre verre et d’envoyer les vœux. Pas le plus probable, mais je ne peux que vous encourager à attaquer 2025 sur une note pleine d’espoir. Bonne année à tous et à toutes!

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